Alias Caracalla
mais ici,
que s’est-il passé ?
Il a rencontré * Passy et * Brumaire : « Ensemble,
ils sont pires que je ne l’imaginais. * Brumaire mène
le jeu : c’est un serpent. * Passy s’efforce de jouer un
rôle occulte. En réalité, c’est un naïf qui s’enveloppe
de mystère pour se protéger. Ils ont saboté les instructions du Général. * Passy est le vrai coupable puisque * Brumaire est son subordonné. »
S’adressant à * Morlaix : « Ils se croient ultragaullistes alors qu’ils sont rebelles au Général. Quant
aux propos que vous m’avez rapportés, ils les nient
en bloc. Nous avons rendez-vous demain matin pour
une confrontation. »
*Morlaix répète les propos de *Brumaire que j’ai
lus dans sa lettre et qu’il a rappelés hier. Tandis que
*Champion écoute, comme moi, en silence, *Rex griffonne un billet qu’il me demande de porter le soir
même à * Passy.
Nous sortons. En remontant l’avenue de la Grande-Armée, * Rex et * Morlaix marchent devant ; je suis àquelques pas derrière en compagnie de * Champion. Je trouve ce dernier très sympathique. Nous
appartenons à la même génération et son comportement à l’égard de * Rex ressemble au mien : il ne
souffle mot.
Je poursuis mes questions sur les problèmes particuliers de la clandestinité à Paris. En réalité, il
les ignore : comme * Morlaix, il n’est pas clandestin
et exerce une profession officielle. Tous les deux
appartiennent au ministère des Finances.
Nous nous séparons place de l’Étoile. * Rex me
demande de l’accompagner chez Mme Scholtz. Il
préfère marcher que de prendre le métro. La conversation du déjeuner ne l’a visiblement pas apaisé. Nous
évitons les Champs-Élysées et descendons l’avenue
de Friedland puis le boulevard Haussmann, déserts
à cette heure.
Je lui ai réservé une surprise : « J’ai peut-être un
appartement pour vous. Un atelier d’artiste près de
l’Observatoire. » Hier, en raccompagnant Pierre Kaan
chez lui, je suis en effet passé devant l’Observatoire
et, au 12 rue Cassini, j’ai vu une pancarte : « Vaste
atelier à louer 3 e étage. S’adresser au concierge. » Je
dois y retourner demain pour le visiter.
*Rex plaisante : « Vous finirez agent immobilier. »
Subitement, il se détend. L’idée de vivre dans un
lieu correspondant à son identité fictive doit l’amuser. Mais est-ce fictif ? Peut-être est-il véritablement
un artiste ? Sa familiarité avec l’art moderne me le
laisse croire parfois, même si son autorité, sa détermination, sa connaissance complice du milieu politique semblent bien éloignés d’une quelconque vie
de bohème. Et puis de Gaulle aurait-il confié la responsabilité de diriger la Résistance à un peintre ?
*Rex parle à nouveau. Il imagine, à Montparnasse,sa nouvelle vie de « rapin », comme il dit, parmi de
séduisants modèles et faisant la fête. Il me confie
que Rubens avait été ambassadeur. Est-ce une
piste ? Est-il diplomate ?
Après un moment de détente, il revient aux difficultés du moment. Je comprends mal les raisons de
son exaspération : n’a-t-il pas obtenu les pleins pouvoirs ? Cette réflexion révèle surtout mon innocence
politique : un ordre de mission accorde un pouvoir,
il ne fabrique pas une autorité. Les jours à venir risquent d’être plus tumultueux encore que ceux qu’il
a vécus.
Cherchant à le tranquilliser, je lui dis : « Quel chemin parcouru depuis l’année dernière ! Vous avez
fédéré la Résistance civile et unifié la Résistance
militaire. » Sa réponse est lapidaire : « Oui, mais le
passé est mort : seul l’avenir est en chantier. »
Avant de me quitter, il me remet un câble :
« Urgent, comme d’habitude. » Comme c’est le premier à partir de Paris, je veux que ce soit une démonstration. Aussitôt chez moi, je le code avant de le
remettre à * Germain pour partir ce soir à Lyon.
Le câble contient une information que j’ignorais :
il informe le Général que les mouvements désirent
envoyer un représentant en Afrique du Nord, au sein
d’une mission de Gaulle : « Ce représentant serait
Nef [Frenay] qui partirait Londres soit Lysander
soit par opération Brandy — réponseurgente 3 . »
Il me donne rendez-vous demain chez Mme Scholtz.
Jeudi 1 er avril 1943
Deuxième round
Après l’avoir quitté, je retourne rue Cassini : la
concierge me fait visiter l’atelier, dont la
Weitere Kostenlose Bücher