Alias Caracalla
Montparnasse, où je ne
suis pas encore allé.
Je lui explique qu’à partir de ma boîte de la Trinité,
j’ai fixé le centre de mes opérations dans les quartiers
alentour. Il insiste pour que je déménage : « Votre
âge rend la rive gauche beaucoup plus sûre pour
votre équipe : vous vous fondrez dans la masse des
étudiants. Pensez-y. »
Un jeune homme accompagnant un homme plusâgé au Luxembourg fait évidemment penser à un
étudiant et son professeur. Ce n’est pas l’opinion de
*Germain quand je lui rapporte cette conversation.
Lui se sent à l’aise à Saint-Lazare, protégé par l’effervescence des « travailleurs » perpétuellement affairés : « Vous savez, moi, les beaux quartiers… »
Le Quartier latin en est-il un ? Je l’ignore.
En milieu d’après-midi, j’attends * Rex à la gare de
Lyon. Après l’avoir aperçu au milieu de la foule se
pressant vers la sortie, je le suis à la consigne, où il
dépose sa valise. Il me remet le ticket ; * Germain
viendra la chercher pour l’apporter au magasin de
Mme Scholtz.
Conscient de la fatigue de son voyage, je lui propose de prendre un vélo-taxi. Il refuse, préférant le
métro, où nous serons perdus au milieu de la cohue.
« Avez-vous fait bon voyage ? » Cette question
conventionnelle me paraît naturelle. Pourtant, avant
son séjour à Londres, jamais je ne me serais autorisé une telle familiarité. Nos relations se sont
modifiées : il est plus disponible, et moi plus libre à
son égard. S’il reste évidemment le patron et que je
ne le considère nullement comme un ami, il est un
peu pour moi un proche parent, et c’est nouveau.
Au milieu de la foule, où toute allusion à la
Résistance est proscrite, c’est le temps de l’art. Je
me suis habitué à ces intermèdes plus ou moins
longs selon les trajets. J’ai découvert, au fil des jours,
un territoire inconnu, même si beaucoup de choses
m’échappent encore.
*Rex tient un paquet de journaux à la main, ainsi
qu’un petit livre à la couverture multicolore : ABCde la peinture , de Paul Sérusier. « Les écrits des peintres sont inestimables. Même quand ils esquissent
une théorie, c’est le fruit de leur expérience. Sérusier
a vécu à Pont-Aven, et Gauguin lui doit tout. Personne
ne le dit, mais ça crève les yeux. »
Parvenus à la Trinité, chez Mme Scholtz, le rituel
lyonnais reprend instantanément. Je lui rends compte
de la mise en place du secrétariat : liaisons, problème
des transmissions radio, premiers contacts avec le
BOA et Kaan, dactylographie, codage, etc. En quatre jours, tout le monde est casé, et l’équipe est opérationnelle.
À dire vrai, j’y suis pour peu de chose : curieusement, chacun a trouvé à se loger dans la capitale
comme s’il y avait toujours vécu. La liaison Paris-Lyon est établie dans les deux sens : à l’heure où
Suzette part de Paris, Van Dievort quitte Lyon tous
les soirs. Hier, il a rapatrié l’argent de * Rex, dont
dépend l’activité des mouvements.
Je suis conscient des risques que nous avons pris
avec ce transport et que nous continuons de prendre en gardant ce véritable trésor de guerre. Mais,
dans la Résistance, y a-t-il d’autre solution que de
prendre des risques ?
J’ai fait déposer trois millions pour les dépenses
immédiates chez un retraité, ami de Mme Scholtz.
Seules les transmissions radio ne sont pas encore
réglées : j’attends avec impatience mon rendez-vous
du 6 avril avec Briant.
J’explique à * Rex qu’à Lyon Cheveigné est prêt à
recevoir les télégrammes apportés par Suzette, mais
qu’ils ne sont que deux radios pour toute la zone
sud, l’autre étant Montaut. Combien de retard auront
les câbles que je lui enverrai ? Deux jours ? Je lui ai
prescrit de donner la priorité absolue aux télégrammes de * Rex. Ceux de Georges Bidault, de portée plus
générale, pourront attendre un peu.
Je signale à * Rex une autre difficulté : Paris est
beaucoup plus étendu que Lyon. * Rex coupe mes
lamentations : « C’est votre affaire ! » Je suis rassuré :
rien n’a changé.
Je lui fais ma première revue de presse parisienne,
puis il rédige quelques plis à porter d’urgence, tandis que je lui signale que je n’ai aucune boîte parce
qu’elles sont contrôlées par les concierges. C’est
une difficulté dont j’essaierai de reparler avec
Mme Scholtz. * Rex n’écoute pas. Seul l’intéresse
son
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