Alias Caracalla
à louer à des
prix ridicules : 300 à 400 francs pour de grands studios dans les meilleurs quartiers. Je recherche un
endroit retiré. Il me fait visiter un studio dans la
petite rue des Marronniers, non loin de la station
de métro Passy.
La pièce est spacieuse et lumineuse. Les fenêtres
donnent sur les jardins des immeubles environnants.
Je le loue aussitôt. Depuis Bescat, jamais je n’ai logé
dans un appartement aussi agréable, d’autant qu’il y a
une salle de bains, un luxe inconnu à Lyon.
Afin de protéger le secret de mon adresse, j’ai
donné rendez-vous à * Germain dans un café de
l’avenue Mozart pour qu’il apporte ma valise.
Alors que je la défais, j’ai la surprise d’entendre,
dans l’immeuble d’en face, dont je suis séparé par
un vaste jardin, un pianiste jouer, fenêtre ouverte,
la sonate Au clair de lune , un des premiers morceaux
que j’ai appris. Brusquement, je suis transporté à
Saint-Elme, dans la pièce exiguë où Aristide Martz,
mon professeur, donnait ses cours : j’avais dix ans.
Quand la sonate s’achève, je quitte à regret ces
lieux déjà familiers. À première vue, ma sécurité est
assurée.
Je rejoins * Rex à Saint-Germain-des-Prés et
l’accompagne dans la soirée à la gare de Lyon. Il
voyage avec une serviette contenant des cahiers de
croquis, une boîte de pastels, des crayons de couleur, un pyjama et ses affaires de toilette.
Afin de préparer le dénouement de la crise militaire provoquée par Frenay, il doit présider à Lyon,demain et le 7 avril, le Comité directeur des MUR.
Sur le quai, il me fait ses dernières recommandations, à voix basse : « Rencontrez quotidiennement
*Dupin [Kaan] et *Morlaix, et voyez *Passy… s’il
vous convoque. » Il me rappelle mon rendez-vous
avec lui, le 8, à Lyon.
J’ai trois jours de répit pour achever mon installation et mes premiers contacts.
Fatigué, je prends le métro en sens inverse et,
après un dîner rapide, rejoins mon nouveau logis.
Je tombe sur mon lit et plonge immédiatement dans
l’univers pacifié des nuits sans rêves.
Mardi 6 avril 1943
Sous la tour Eiffel
À 8 heures, je retrouve * Germain à la sortie du
métro Rue de la Pompe. Comme d’habitude, il me
rend compte des contacts qu’il a déjà établis (avons-nous fait autre chose depuis toujours ?) : « Ça commence à marcher ! » Il me signale que l’OCM est le
mieux organisé des mouvements, et le plus ponctuel : « Ce sont aussi les plus prétentieux : je me
demande pour qui ils se prennent. »
Je complète la liste avec les dernières adresses
que j’ai recueillies. En moins de deux semaines, j’ai
pris contact avec presque tous les résistants et une
partie des politiques. Restent les militaires, que je
rencontrerai au retour de * Rex. Après ma présentation aux cadres de la zone nord, j’ai organisé les
contacts avec leurs secrétariats et présenté * Germain
à leurs courriers. De ce point de vue, tout est en ordre.
Le seul problème, crucial, est l’absence matérielle
de boîtes aux lettres découverte dès mon arrivée.
J’en ai parlé aux responsables afin d’obtenir d’eux
des relais dans des magasins. Tous m’ont fait des
promesses, qui, comme en zone sud, se révèlent sans
résultat.
Lorsqu’ils m’indiquent des boîtes chez des concierges ou même dans des appartements, je suis inquiet :
ces solutions me semblent dangereuses, sinon
désespérées. Je n’ai pas le temps d’épiloguer, car j’ai
de l’argent à verser aujourd’hui. Comme hier, je vais
me fournir chez Mme Sholtz, où je prends un million à partager en quatre.
Le premier représentant que je rencontre est
celui de Ceux de la Résistance, * Lefort 13 . Il me semble plus aimable que Louis Saillant quand je le
retrouve dans le bistrot de la rue Saint-Lazare. Assis
côte à côte, nous posons nos journaux sur la table. Le
mien contient les 200 000 francs qu’il a demandés.
Bavard, il me paraît bien peu résistant. Sa première question — « D’où venez-vous ? » — me laisse
coi. Personne ne me l’a jamais posée. Plus étonnant
encore, je m’entends lui répondre : « Et vous ? » Je
n’ai jamais parlé ainsi à quiconque, surtout pas à
un chef de mouvement. Mais en est-il un ?
Il ne relève pas la grossièreté et semble heureux
de répondre. J’apprends qu’il est diplomate et que
son mouvement a été fondé en 1942. Après l’arrestation
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