Alias Caracalla
de ses premiers chefs, il a décidé de le restructurer et en est devenu le chef. « C’est un mouvement
paramilitaire. Nous faisons la guerre aux Allemands.
Ce dont nous avons besoin, c’est d’armes. »
Je lui affirme, avec une incroyable légèreté, que lesAnglais vont pouvoir armer son mouvement maintenant que * Rex est le chef de la zone nord. Je veux
qu’il comprenne que c’est * Rex qui commande et
que, grâce à lui, il aura ce dont il a besoin.
En le quittant, je me demande pourquoi j’ai perdu
la réserve dont je ne me départissais jamais en zone
sud. Je mets cela sur le compte de la découverte que
la plupart de ces mouvements n’ont jamais eu de
liaison avec Londres.
Une demi-heure plus tard, je rencontre Charles
Laurent, le représentant de Libération-Nord, dans
un café proche du Bon Marché . Les 400 000 francs
que je lui apporte me paraissent peu de chose en
comparaison des sommes versées en zone sud,
mais pour lui cela semble si extraordinaire qu’il
me demande, les yeux brillants, quand nous nous
reverrons.
Il me tarde de retrouver mon camarade Jean Ayral,
à qui je dois remettre les deux dernières enveloppes
pour le BOA (300 000 francs) et le mouvement de
Tours.
Sous la tour Eiffel, à l’heure dite, je l’aperçois
qui m’attend seul. En m’approchant, je découvre
ses traits tirés, qui amaigrissent son visage juvénile.
Quand il me serre la main, je remarque aussitôt
ses yeux éperdus. Dans la Résistance, je connais ce
regard singulier, signal d’une catastrophe.
Il m’entraîne à l’écart des promeneurs dans les
jardins avoisinants, puis me dit à voix basse :
« Briant ! » Je n’ai pas besoin d’écouter la suite
pour savoir qu’il s’est fait arrêter.
Il n’en sait pas plus. Il l’a appris ce matin par*Gilbert 14 , l’agent de liaison de Briant, seul témoin
encore en liberté. Mais Ayral est persuadé que ce
garçon travaille pour la Gestapo. Est-ce lui qui a
livré Briant et * Pal.Z 15 , son élève, ou la Gestapo a-t-elle repéré leurs émissions puis retourné * Gilbert ?
« Son récit est confus, précise Ayral. Je suis pour
l’exécuter immédiatement, mais Schmidt refuse. Il
prétend que nous n’avons pas de preuve. * Gilbert
appartient à Ceux de la Libération : fais gaffe lors
de tes rendez-vous avec eux. »
Ayral a changé de boîte et me communique la nouvelle avant de me quitter pour retrouver Schmidt et
décider du sort de * Gilbert. Auparavant, je m’assieds
avec lui sur un banc en posant entre nous mes journaux, dans lesquels j’ai mis les enveloppes. Il se
relève aussitôt avec ses paquets. L’entretien a duré
quelques minutes à peine. Quand il me regarde une
dernière fois avant de s’en aller, j’éprouve la complicité tragique des camarades du BCRA.
De nouveau, je suis seul au milieu de paisibles
promeneurs, de voitures d’enfants et de jeux innocents. Je marche au hasard parmi ces figurants d’une
autre époque. La déchirure soudaine provoquée par
l’arrestation de Briant est d’autant plus béante que
je m’apprêtais à dîner avec lui et à reprendre, après
les affres de sa première arrestation, notre liaison
d’autrefois.
Où est-il en ce moment ? Dans mon cœur, son
souvenir explose en images décousues. C’est mon
plus ancien camarade de la France libre, devenu mon
plus cher ami. Si je suis ici ce soir, c’est grâce à lui.
Tant d’autres choses nous lient : les livres qu’il m’afait découvrir, son humour toujours en alerte, Dieu
même, auquel son exemple m’arrime avec peine.
Je revois son visage serein, horrifié parfois par
certains de mes propos, qu’il condamnait d’une sévérité affectueuse. Est-il torturé ? Déjà mort ? Le
reverrai-je ?
Courant vers mon prochain rendez-vous, je repense
à une phrase d’Ayral : « Les résistants sont d’abord
des types sur qui nous ne pouvons pas compter. »
Constat terrible, qui résume le quotidien des officiers de liaison.
En partant ce soir pour Lyon, je sais que la structure essentielle de mes liaisons, du secrétariat et
des logements est en place. Après l’arrestation de
Briant, j’ai prévu de coucher à Lyon afin d’examiner avec Cheveigné les problèmes du trafic. J’espère
pouvoir organiser à Paris ne serait-ce que l’embryon
d’un réseau grâce àFernand 16 , un radio recruté et
formé par lui, qui doit s’y installer avec un poste.
Mercredi 7 avril 1943
Insoumission
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