Alias Caracalla
« réduire » son armée à une force de cinquante
mille hommes ayant des objectifs précis, destinés,
le jour J, à aider ponctuellement les Alliés.
Frenay, dans ses nouvelles fonctions de représentant militaire, a répondu à Delestraint — mais était-ce une réponse ? Il l’a d’abord critiqué d’avoir
attendu quinze jours, après son retour, pour faire
connaître les projets militaires des Anglais et des
Américains à l’égard de la Résistance française. Puis
ce fut le début de la polémique, Frenay ne reconnaissant pas à Delestraint la compétence pour préparer une organisation militaire avec des forces
qu’il ne connaît pas.
Une discussion interminable a commencé pour
fixer les relations entre le chef de l’Armée secrète et
le Comité directeur des MUR.
« C’est alors, explique * Rex, que * Charvet [Frenay]
a indiqué qu’on ne pouvait extraire l’Armée secrète
des mouvements, dont elle fait partie. Au maximum, il accepterait de donner au général une force
militaire de dix mille hommes. Tout le reste serait
réservé à la marche des mouvements (recrutement,fabrication et distribution des journaux, etc., et,
bien sûr, les sabotages exigés par l’évolution de la
guerre). »
Frenay s’est ensuite ouvertement moqué de
Delestraint et l’a attaqué pour sa naïveté de ne
l’avoir pas consulté sur la réalité de l’Armée secrète,
que lui seul connaissait pour l’avoir créée.
« * Charvet, poursuit * Rex, a prétendu que * Vidal
[Delestraint] était à ses ordres, comme l’exige la loi
en France, qui met les généraux sous le commandement des préfets. * Vidal a rétorqué qu’il ne dépendait directement que du général de Gaulle, chef du
gouvernement, ajoutant que l’Armée secrète était
pleinement à ses ordres et qu’il venait seulement
informer le Comité. »
« C’est alors, ajoute * Rex, que * Charvet s’est mis à
traiter * Vidal de tous les noms. Résultat : * Vidal a
déclaré qu’il ne viendrait plus se faire injurier périodiquement devant le Comité, qu’il avait été nommé
commandant en chef de l’AS par le général de
Gaulle, que sa nomination ne comportait aucune
subordination à un quelconque Comité et qu’il
n’acceptait que le contrôle et l’autorité politiques du
Comité national français et, dans une certaine
mesure, du Conseil de laRésistance 18 ».
En écoutant ce récit, j’observe que, depuis le retour
du patron, les positions se sont durcies : l’objectifde Frenay est clairement d’abolir l’autorité de
Delestraint sur l’Armée secrète et celle de * Rex sur
les mouvements. Je constate aussi qu’à la suite de
cette séance, * Rex s’est rallié à la solution proposée
depuis plusieurs mois par * Francis : expédier définitivement Frenay à Londres.
Après diverses conversations avec le général
Delestraint pour régler le problème de l’Armée
secrète, * Rex a tenté de reprendre le contrôle en
proposant de scinder l’AS en deux formations distinctes : l’une, d’action lointaine, commandée par
Delestraint et destinée aux opérations du Débarquement le jour J ; l’autre, consacrée à l’action immédiate et groupant les maquis et des « îlots » dirigés
par Frenay.
« Je ne comprends pas qu’on cède quarante mille
hommes à * Charvet pour n’en laisser que dix mille à
*Vidal et à l’Armée secrète », l’interrompt Bidault.
Cette sortie gêne visiblement * Rex, car j’observe, peut-être pour la première fois, qu’il lui répond avec
agressivité : « Il n’y a pas d’autres solution. Tant que
*Charvet est en France, la situation est bloquée. De
nous deux, l’un doit disparaître. Mais je n’oublie pas
que, s’il part à Londres, c’est pour me faire rappeler.
Tant que je n’aurai pas réuni le Conseil de la Résistance, je resterai ici. Après, j’appartiens au Général. »
Bidault n’a pas l’air convaincu, ce qui m’étonne. « Il
semble, d’après ce que je comprends, que * Charvet a
eu le dernier mot, puisque * Vidal ne commande plus
que dix mille hommes. Pour moi, c’est une tragédie. »
Je sens * Rex excédé par l’incompréhension de Bidault.
« Je vous répète qu’actuellement le problème est le
départ de * Charvet. Après ce sera l’heure de vérité. »
À la fin de ce long dîner, je file à la gare prendre
le train de 10 heures moins 20.
Vendredi 9 avril 1943
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