Alias Caracalla
loin de son domicile. Puis je file à
mon prochain rendez-vous, à La Closerie des Lilas .
Après dîner, je revois * Germain, qui me rend
compte de la conduite du général. Après l’avoir laissé,
il l’a vu entrer dans l’hôtel. Tout va bien.
Lundi 12 avril 1943
Mésaventures du chef de l’Armée secrète
À 7 heures, je sonne chez * Rex, rue Cassini. Quand
il m’ouvre, je reconnais son visage des mauvais
jours. Comme il doit présider le Comité de coordination militaire à 9 heures, je ne m’inquiète pas :
les soucis sont au menu.
Je lui rends compte de nouveaux rendez-vous :
tout le monde veut le voir depuis son retour. Puis
nous quittons l’atelier, et il m’entraîne vivement au
jardin du Luxembourg, désert à cette heure.
Il se tourne vers moi : « Qu’avez-vous fait du
général * Vidal [Delestraint] ? » Interloqué, je relate
notre rencontre à la gare de Lyon et son départ en
compagnie de * Germain. « Savez-vous ce qui s’est
passé ensuite ?
— Naturellement : * Germain l’a conduit à Neuilly
et, par sécurité, après lui avoir remis sa valise, il l’aabandonné non loin du domicile, dont le général
avait l’adresse.
— Écoutez la suite : votre hôtesse lui a ouvert la
porte, l’a fait entrer au salon où un thé lui a été
servi. Après l’avoir invité à s’asseoir, elle a commencé
une conversation sur la pluie et le beau temps tout
en lui offrant cake et confitures. Après une heure
d’insipidités, le général, constatant qu’on ne le conduisait pas à sa chambre, n’a pas osé poser de question
de peur de s’être trompé d’adresse. Il s’est levé et a
pris congé. Craignant d’être reconnu dans les “beaux
quartiers”, il est retourné à la gare de Lyon et a
choisi le premier hôtel venu, sans remarquer que
c’était un hôtel de passe. La nuit, effrayé par les
allées et venues incessantes ainsi que par les bruits
intermittents et bruyants des lavabos et des bidets,
il s’est couché tout habillé sur son lit. Mort d’inquiétude, il n’a pas fermé l’œil. Quand je l’ai vu ce matin,
il était encore sous le choc de son équipée parisienne. »
Quand * Rex évoque les déboires de cet homme
respectable, égaré dans un lieu de perdition et qui,
par pudeur, s’est couché tout habillé, j’aperçois sur
ses lèvres l’ébauche d’un sourire vite réprimé. Me
méprenant sur sa réaction, je m’imagine qu’il apprécie le comique de la situation et m’abandonne à un
fou rire irrépressible.
*Rex m’arrête et me fixe durement : « Vous avez
tort de rire. Je n’admettrai pas de nouvelle faute
de votre part. Recommencez, et je vous expédie à
Londres. »
Sur l’instant, je suis dégrisé. Bien qu’intraitable
dans le travail et parcimonieux dans ses compliments,
il ne m’a jamais adressé le moindre reproche, encore
moins sur ce ton de procureur. Brutalementconscient de mon impardonnable légèreté, je balbutie des excuses : « À l’avenir, j’accompagnerai
personnellement le général selon vos ordres. »
C’est évidemment inapproprié, mais que dire
d’autre ? Je suis écrasé par ma faute puérile et ne
peux supporter le regard réprobateur de * Rex. Pour
masquer mon désarroi, j’enchaîne sur le premier
rendez-vous, à 9 heures : nous devons assister à la
réunion organisée par * Passy.
Quand j’ai fini, il me demande de prendre contact
avec Delestraint au début de la réunion afin de lui
procurer un hébergement décent. Bien que sa voix
soit redevenue habituelle, une question m’obsède :
Oubliera-t-il ?
*Rex et moi prenons le métro, destination Porte
Dauphine puis la rue de la Faisanderie, où se tient
la première réunion de l’état-major des mouvements
de zone nord. Durant le long trajet, le patron ne dit
mot. Connaissant bien ses silences de banquise,
j’espère seulement que la séance qui l’attend lui fera
oublier notre algarade.
Nous arrivons chez Claire Davinroy, une amie de
*Passy, qui héberge la réunion dans son appartement. Je m’étonne du grand nombre de participants à
cette réunion « secrète ». Une fois de plus, je regrette
que * Rex n’accepte pas que je sois armé. Il y a des
mois que je n’ai pas tiré, mais je suis sûr de ne pas
déchoir. Mes deux ans d’entraînement avaient révélé
une certaine dextérité. En tout cas, il me semble que
ce serait mieux que d’attendre la Gestapo comme
du bétail.
*Rex
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