Alias Caracalla
me présente à chacun, selon un rite connu :établir des liaisons régulières. Pour la première fois,
je rencontre * Joseph 23 , représentant les FTP, dont
Ayral m’a souvent parlé, et le colonel * Langlois 24 ,
chef militaire de l’OCM, qui me donne rendez-vous
demain avenue Henri-Martin.
Quand je présente mes excuses au général
Delestraint, il se montre souriant, comme d’habitude, et n’évoque rien de sa mésaventure. Il me fixe
rendez-vous dans l’après-midi.
La séance débute : présentations, mots de bienvenue de * Rex et du général, organisation des
débats. Après quelques mots d’introduction de
*Passy, Delestraint expose la stratégie de l’état-major
allié dans la préparation du Débarquement.
Dans l’immédiat, deux événements sont à l’ordre
du jour : les maquis et les attentats. Pour les premiers,
les Britanniques ne possèdent pas l’intendance indispensable à leur survie : manque de ravitaillement,
d’armes, d’avions. Delestraint répète les consignes
que * Rex m’a adressées de Londres à destination
des mouvements : ne pas encourager la formation
des maquis. Quant aux attentats, si les Alliés sont
d’accord sur le principe, ils exigent de les intégrer
dans une stratégie européenne et de limiter leur rôle
au harcèlement de l’armée allemande au moment du
Débarquement. En un mot, ils veulent les planifier et
en contrôler l’exécution : interdiction aux résistants
de déclencher des actions en l’absence d’ordres de
Londres.
Écoutant Delestraint, j’ai le sentiment d’être au
cœur de la guerre. Inutile de préciser que ça m’intéresse autrement plus que les réunions où l’on discute politique, institutions futures ou épuration
administrative.
Les FTP refusent les instructions des Alliés concernant les attentats individuels. Ils affirment que seul
ce qu’ils nomment l’« action immédiate » est capable de mobiliser les résistants en entretenant l’insécurité chez les Allemands. Connaissant le terrain
mieux que quiconque, ils disent n’avoir d’ordre à
recevoir de personne. Conclusion : en dépit de leur
volonté d’union, les FTP poursuivront leurs actions
isolées.
*Rex intervient en s’adressant à leur représentant.
La guerre n’est pas une suite d’opérations individuelles. Il entend faire respecter les consignes de
l’état-major allié et répète les ordres de Delestraint :
sabotages, attentats, oui ; mais en accord avec les
Alliés.
« La Résistance est une coalition, dit-il. La guerre
ne peut être gagnée que par la discipline, surtout
dans la clandestinité. Les chefs commandent, les
troupesobéissent 25 . » Je suis choqué d’entendre les
communistes s’indigner de ces propos et maintenir
leur refus d’obéissance.
*Brumaire prend la parole pour offrir son arbitrage : afin d’éviter un conflit ouvert, il propose de
laisser toute latitude aux FTP pour les actions immédiates. Je n’ai pas besoin d’attendre les commentaires de * Rex pour savoir ce qu’il pense à cet instant. Il
me suffit de déchiffrer son visage buté et d’observer
son regard qui a perdu l’éclat velouté que j’aime tant.
J’observe une immobilité noire que je connaistrop bien et que je crains. * Rex reproche une fois de
plus à * Brumaire de jouer contre son camp en se
désolidarisant de la politique du Général. Une discussion désordonnée s’ensuit, puis la séance prend
fin sur la volonté réitérée des FTP de rester maîtres
de leur stratégie et de leurs troupes. Toutefois, ils
avertissent Delestraint qu’avant de communiquer
leur position définitive à de Gaulle, ils consulteront
les instances du parti.
Avant de lever la séance, Delestraint propose un
rendez-vous de travail à * Langlois et indique aux
FTP qu’il attendra de connaître leur décision avant
de poursuivre les échanges sur la constitution de
l’Armée secrète.
La réunion achevée, je m’approche de * Colbert
pour l’échange de nos boîtes. J’attends que * Rex termine son entretien avec * Passy et * Brumaire, auxquels il propose un rendez-vous avant leur départ
pour Londres, prévu après-demain.
*Rex et moi devons rencontrer *Morlaix et
*Champion à la sortie du métro Porte Dauphine.
Après avoir quitté l’immeuble, je marche en
silence aux côtés du patron le long de la rue de la
Faisanderie. Je respecte son mutisme. Au bout
d’un moment, un monologue m’est destiné :
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