Alias Caracalla
France libre , op. cit. , pp. 86-93).
IV
DELVILLE CAMP
11 juillet-26 septembre 1940
Jeudi 11 juillet 1940
Des Français chez les Canadiens
Nous quittons l’Olympia. Au fil des jours, j’ai compris qu’il contenait la totalité de l’armée du général
de Gaulle.
Après la matinée consacrée au nettoyage, nous
laissons les locaux plus propres que nous ne les
avons trouvés. Nous voulons montrer aux Anglais à
qui ils ont affaire.
L’après-midi, des bus nous conduisent à Victoria
Station. À une heure de train vers le sud, nous descendons à Cove. Je n’ai jamais vu une gare aussi
petite et coquette. Peinte de couleurs vives, elle ressemble à un gros jouet.
En rangs par trois, chargés de valises ou de balluchons, nous traversons le bourg. Une fanfare britannique nous précède, jouant La Madelon . Sur la
route, les gens s’arrêtent, nous saluent joyeusement.
Nous marchons au pas vers Delville Camp, à deux
kilomètres de Cove.
Nous découvrons bientôt l’ensemble des barracks ,
construites autour d’une place centrale bitumée, le parad ground . Quel contraste avec la sinistre caserne
de Pau. La barrack affectée à notre section est meublée, comme toutes les autres, de lits en fer, dont
les matelas, repliés, sont couronnés d’un sac de couchage et de couvertures. Claire et gaie, notre chambrée aux murs blancs est inondée de soleil. Nous ne
pouvons imaginer dénouement plus heureux après la
« séquestration » de l’Olympia. Elle possède des toilettes, des douches et même deux salles de bains avec
eau chaude… Luxe babylonien après trois semaines
de minces filets d’eau froide.
Je note dans mon cahier :
Chambrée très sympa, enfin un lit, la nuit
tombe. Enfin de l’air, des fenêtres par où la lumière
qui n’est pas l’éclairage électrique pénètre ad
libitum .
Depuis mon départ de France, j’ai appartenu à
deux équipes : les dix-sept du Léopold II et les trente-six de la section Saulnier. Comme à l’Olympia,
Berntsen, Bott, Montaut et moi nous installons côte
à côte. Briant est à deux lits du mien.
Ce soir, après la soupe, pendant que nous rangeons
nos affaires avant le couvre-feu, Briant se jette littéralement à genoux au pied de son lit pour faire sa
prière. Au bruit de la chute, nous nous retournons.
Un bref instant, la chambrée hésite quant à l’attitude à adopter envers ce que d’aucuns pourraient
considérer comme une provocation. Je suis surpris
par l’audace de ce geste ostentatoire. Qu’en pensent
les autres ? En dépit de l’intolérance de la jeunesse,
personne ne fait la moindre remarque.
Vendredi 12 juillet 1940
Première journée au camp
À la cantine, je m’installe à côté de Briant et le
félicite de son courage. Me fixant d’un regard innocent, il me répond : « Ce n’est pas une question de
courage, puisque ma foi est le sens de ma vie. Que
puis-je faire d’autre que de vivre comme un exemple ? »
Je pressens qu’outre la passion du Pays basque et
des curiosités voisines sur la spiritualité, nous avons
le goût des livres, de la métaphysique et des discussions.
Ma section découvre enfin le rythme de l’armée.
Pour la première fois, les exercices se déroulent —
toujours en civil — en plein air. Gymnastique au
réveil, école du soldat et du groupe prennent un
développement nouveau.
Je mesure la transformation opérée depuis huit
jours : l’apprentissage de quelques figures simples
(ordre serré, pas cadencé, etc.) a imposé une cohésion à notre groupe disparate. Nous vivons la fin
soudaine de la tension subie depuis le 17 juin.
À la fin de l’après-midi, je suis exténué. Après la
soupe de 5 heures, je me réfugie dans la chambrée
déserte. Mes camarades ayant eu la curiosité d’explorer immédiatement les ressources de Cove, je profite du silence et de la douceur de cette soirée d’été.
Suprême raffinement avant la nuit, je me prélasse
dans un bain d’eau chaude, luxe oublié depuis
Bescat.
Samedi 13 juillet 1940
Philippe et Domino
L’entraînement intensif ne me laisse aucun répit
pour réfléchir. Ce soir, seul de nouveau sur mon
lit, je me complais dans une rêverie hantée par les
absents.
Incorporés dans des armes différentes, les dix-sept
sont éparpillés aux quatre coins du camp. Philippe
Marmissolle et Rödel, à l’artillerie, de l’autre côté
du parad ground , sont les
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