Alias Caracalla
réputation : elles sont françaises. François
Jacob en profite avec bonheur.
Briant fait exception. Il est allé frapper à la porte
d’un couvent, dont les cérémonies l’ont enchanté. Il
les raconte avec l’émotion de sa foi.
Mercredi 10 juillet 1940
Un bataillon de chasseurs
Ce matin, branle-bas de combat : nous sommes
rassemblés au rez-de-chaussée. Le capitaine Hucher,
officier de chasseurs alpins, annonce la formation
d’un bataillon de chasseurs. La section du lieutenant Saulnier, la mienne, devient la 3 e section de la
1 re compagnie, elle-même commandée par le capitaine Lalande, chasseur alpinégalement 8 .
Nous remontons à l’étage, où notre nouveau capitaine distribue des questionnaires et veut nous rencontrer personnellement. La matinée est consacrée
à ces entretiens. Heureusement, l’ordre alphabétique
me place au début. Le capitaine occupe la petite
table utilisée par Saulnier le premier jour. Je me présente à lui, toujours en civil, mais au garde-à-vous.
Le capitaine Lalande, grand, au visage d’athlète,
hâlé, a vingt-cinq ans. Il rayonne d’un charme de
jeune premier. Dans l’Olympia, nous l’avons tous
vu déambuler avec la souplesse d’un félin et nous
imposer, par son âge, le modèle d’un frère aîné. Sa
Légion d’honneur gagnée en Norvège en fait l’exemple du héros que je rêve de devenir.
Le lieutenant Saulnier est un jeune saint-cyrien à
peine plus âgé que moi. L’aspect juvénile de son
visage contraste avec l’autorité que lui confère sa
carrure de rugbyman.
Entraîneurs d’hommes, nos officiers sont bien
décidés à nous transformer en une troupe d’élite.
Après cette réorganisation, nous poursuivons notre
entraînement. Aujourd’hui, il ne pourrait être plus
réussi, tant nous avons la volonté d’être parfaits.
Grâce à la nouvelle identité militaire que nous avons
acquise — sauf par nos vêtements —, chacun manifeste un surcroît de perfection dans l’exécution des
ordres.
Les arrivées quotidiennes de volontaires attisent
notre curiosité. Au hasard des bavardages, nous en
apprenons davantage sur leur origine.
J’envie un groupe arrivé dimanche dernier : ils sont
déjà en uniforme anglais. Ils étaient deux cent trente
jeunes fuyant Brest lors de l’arrivée des Boches. Ils
ont accompagné les chasseurs à Trentham Park et
ont formé l’embryon d’un bataillon de chasseurs.
La plupart ont quitté la France au gré des opportunités, souvent dans un tel dénuement que le lieutenant Dupont a demandé aux Anglais de les habiller
décemment.
Tous ont connu la guerre (bombardements de
Brest, routes encombrées de réfugiés, incendies,
panique des civils…) et un parcours semé d’embûches. Je suis un des rares à n’avoir rien vu de la
guerre. Admiratif, j’écoute ces récits pittoresques
qui me dévoilent un aspect de la défaite, mais aussi
des motivations à s’engager que j’ignore.
C’est aussi la première fois que je partage, à égalité,
la vie de paysans, d’ouvriers, d’employés. J’envie leur
assurance : ils sont déjà des hommes. Je le constate
à la manière dont ils parlent des filles : « Elles
n’ont qu’une idée : se faire baiser. » En comparaison, mon amour pour Domino est celui d’un enfant.
Au gré des rencontres, les rares militairesralliés 9 à de Gaulle nous racontent leurs aventures et leurs
espoirs. Ceux qui nous en imposent le plus sont les
chasseurs alpins des 6 e et 13 e bataillons, qui ont participé aux opérations de Narvik, en Norvège : la
plupart d’entre eux ont obtenu la croix de guerre.
Combien de temps me faudra-t-il pour leur ressembler, devenir un soldat, me battre, être décoré ?
Que les civils disparates d’Anerley rentrent en
France est peut-être compréhensible, même si je
les condamne. Mais des soldats, qui ont l’honneur
d’appartenir à une armée française victorieuse en
Norvège et ont l’occasion de poursuivre immédiatement la lutte, quelle trahison ! Comment, à leur
retour, oseront-ils affronter le regard du peuple français prisonnier des Allemands ? Incompréhensible
égarement.
Cette désertion explique, au-delà des mots, la
complicité sans calcul, la fièvre amicale qui s’est
instaurée entre les volontaires de l’Olympia dès notre
arrivée. Aucun d’eux ne m’a demandé pourquoi je
m’étais engagé chez de Gaulle. Je ne les ai jamais
interrogés non
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