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Alias Caracalla

Alias Caracalla

Titel: Alias Caracalla Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Daniel Cordier
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lu le
texte qu’on nous a distribué ensuite. J’ai été saisi
par certaines formules d’une grandeur tragique, écho
de trois discours précédents.

    Je commence d’apprécier son style oratoire. Il se
refuse, comme le dit Philippe, les « trémolos » de
banquet. D’un discours à l’autre, il éclaire des raisons de mon choix auxquelles je n’ai pas songé.
Mon refus instinctif de la capitulation n’a d’autre
contenu que celui du rejet émotionnel de l’esclavage. De Gaulle, lui, bâtit une doctrine du refus :

Au fond de notre abaissement, ce jour doit nous
rassembler dans la foi, la volonté, l’espérance.

    Dans la foi, car nous savons qu’une bataille
perdue, une faillite des dirigeants, une capitulation signée, ne scellent pas le destin du pays.

    Dans la volonté, car la résistance française
continue et s’étendra […].

    Dans l’espérance, car le monde est grand. Nous
sommes sûrs que les mêmes moyens qui permirent à l’ennemi, hier, de l’emporter, permettront,
demain, de le battre.

    Le 14 Juillet 1940 ne marque pas seulement la
grande douleur de la patrie. C’est aussi le jour
d’une promesse que doivent se faire les Français.
Par tous les moyens dont chacun dispose, résister à l’ennemi, momentanément triomphant, afin
que la France, la vraie France, puisse être présente à la victoire.

    L’homme qui dessine cette volonté d’avenir est
mon chef. Cet après-midi, il est à quelques mètres
devant moi. Est-ce parce qu’il nous a demandé denous asseoir pour l’écouter et qu’il est seul debout ?
Est-ce parce qu’il est nu-tête, ou que, dans le regard
qu’il fixe tour à tour sur chacun d’entre nous, je
déchiffre une bienveillance paternelle ? Il me paraît
plus humain, métamorphosé.

    Certes, le personnage demeure sévère, distant, autoritaire, mais dans l’intimité de ce théâtre rococo, il
offre simplement à de jeunes exilés qui pourraient
être ses fils une séance de cinéma. À défaut d’être
sympathique — j’ai appris que cela n’avait guère de
sens pour un militaire —, il me semble proche. Cet
après-midi, nous sommes davantage ses enfants que
ses soldats.

    Après son discours, nos applaudissements — les
premiers à son égard — prouvent que, quels que
soient le lieu ou le ton de sa harangue, nous sommes
dévoués à une cause que, seuls, nous avons choisie.
Désormais, il l’incarne pour nous.

    Un carnet de bal , de Julien Duvivier, est un film
célèbre, dont je connais par cœur nombre de reparties. Je l’avais découvert pour la première fois à
Bordeaux, en compagnie de mon père. Certaines
scènes qu’il avait aimées, celles où joue Marie Bell,
le rendent brusquement présent.

    Depuis notre rupture, je pense rarement à lui.
Aujourd’hui je m’interroge : comment vit-il l’humiliation de la défaite, lui qui a tant souffert de la Grande
Guerre ? Bien qu’il ne soit pas un militant des anciens
combattants et n’affiche jamais ses décorations, je
sais combien il a été meurtri par la déclaration de la
guerre de 1939, qui annulait le sacrifice de ses camarades, vingt ans seulement après le grand carnagepatriotique. Habite-t-il toujours à Bordeaux ? S’est-il
réfugié en zone libre ? A-t-il appris mon départ ?
J’espère secrètement qu’il approuve mon engagement.

    Ces questions sans réponse se confondent avec
les répliques des acteurs. Dans l’obscurité, j’oublie
les événements de ces dernières semaines, jusqu’aux
raisons qui m’ont poussé à m’expatrier : pourquoi
donc suis-je à Londres, dans ce cinéma de quartier,
à regarder un film que je connais par cœur ?

    À la fin de la séance, en même temps que les lumières s’allument, un orgue jaillit de la fosse d’orchestre.
Les variations brillantes qu’interprète l’organiste ressemblent à celles qui, jadis, accompagnaient joyeusement les sorties de messe, le dimanche.

    Le départ du Général brise l’enchantement.

    Nous nous rendons à pied à White Hall, l’hôtel de
ville, sur lequel flotte le drapeau français. Comme à
Falmouth, des dames accompagnées de jeunes filles
nous distribuent une savoureuse collation. En fin
d’après-midi, nous traversons Londres à pied, salués
par les passants, jusqu’à Victoria Station.

    Bien que fatigué, je contemple du train avec attendrissement ce paysage qui ne m’est plus étranger. Qui
l’eût cru ? L’Angleterre est devenue ma secondepatrie 1

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