Alias Caracalla
centrale. J’appréhende qu’il ne remarque quelque oubli.
Au coup de sifflet, la 3 e section se forme devant le
baraquement puis, au pas cadencé, rejoint la 1 re compagnie sur le parad ground . Le capitaine Lalande nous
salue, tandis que le lieutenant de semaine ordonne :
« Présentez armes ! »
Le chef de bataillon Hucher arrive enfin à 8 heures.
Après la présentation des trois compagnies, l’entraînement commence.
Depuis mon arrivée à Delville, le programme a
évolué. L’école du soldat (alignement, pas cadencé,
etc.) commencée à l’Olympia s’est achevée rapidement. Elle est relayée par l’école de groupe, quiorganise la cohésion de douze hommes au cours
d’une action efficace.
Le sergent Goudenove, mon chef de groupe, se
dépense sans compter. Quant à Saulnier, il s’est
mis en tête de faire de nous la meilleure section du
bataillon. Nous obéissons avec une ardeur qui étonne
nos officiers, tant nous sommes stimulés par la perspective d’une bataille prochaine.
De la vie militaire, j’ignore tout, à l’exception de ce
que m’ont appris mes lectures sur la Grande Guerre.
Je ne me suis encore jamais posé de questions sur
la façon de transformer un civil en soldat. C’est la
découverte permanente d’une activité épuisante,
mais accompagnée de joies intenses.
Nous quittons le camp dans la fraîcheur des
matins, déambulons sur les chemins sablonneux alentour, traversons des bois de pins, truffés de buissons
de genêts. Le silence n’est troublé que par nos conversations. Dans la chaleur et la lumière de cet été
rayonnant, les manœuvres évoquent les promenades du dimanche à Saint-Elme, d’autant plus que, les
premiers temps, elles s’effectuent sans équipement et
sans arme. La chaleur aidant, nos officiers nous
conduisent, non loin du camp, au bord d’un lac pour
nous baigner.
Les marches, assez courtes au début, nous entraînent vite loin du camp : dix, vingt, trente kilomètres…
Nous découvrons dans cette poétique campagne un
piège imprévu : les bornes kilométriques et les
poteaux indicateurs ont été enlevés par crainte des
parachutistes. Il en va de même des noms des gares
et des villages.
Lorsque, par malheur, nous nous égarons, les paysans, villageois ou clients des pubs isolés refusent
de nous indiquer la direction de notre camp, qu’ilsfeignent d’ignorer. Bien que la population fraternise sans réserve avec les populaires Free French , la
moindre question sur l’orientation à l’intérieur du
pays les rend soupçonneux.
En dépit de cet inconvénient, j’admire le civisme
de ce grand peuple, la spontanéité de son comportement, le respect des consignes de sécurité, qui sont
autant de manifestations de sa volonté farouche de
défendre l’île. Cette mobilisation générale est couronnée par celle des « vieux », qui prennent leur
rôle très au sérieux au sein de la Home Guard 7 .
Mon admiration augmente encore lorsque je me
rends compte des vertus de cette armée, au hasard
de nos manœuvres. Elle se montre fort disciplinée et
superbement équipée d’engins robustes et neufs,
dont la nouveauté m’étonne.
Au gré de nos marches, nous découvrons les
champs plantés de poteaux antiplaneurs, les routes
barrées de rails antichars, de chicanes, de barbelés,
tandis que les blockhaus en construction contrôlent
les croisements et transforment le pays en camp
retranché.
Les exercices s’achevant à midi, nous rentrons au
« pas de route » jusqu’aux environs du camp. Avant
d’y pénétrer, la section s’arrête pour reformer ses
rangs. Sous l’œil critique de Saulnier, nous mettons
l’arme sur l’épaule pour pénétrer au pas cadencé
dans Delville, tandis que la sentinelle nous présente
les armes.
À la cantine, nous profitons de la nourriture française abandonnée par l’expédition de Norvège. Je
cède ma part de vin rouge — imbuvable pour un
Bordelais —, d’autant qu’il semble trafiqué et
dégage parfois des effluves d’éther. Après déjeuner,
nous avons une heure de liberté, que nous passons
à la cantine ou dans la chambrée, avant de reprendre l’exercice à 2 heures.
Le programme de l’après-midi se déroule à l’intérieur du camp : maniement d’armes sur le parad
ground , étude du règlement ou de l’armement, exercices d’alerte avec masque à gaz et pèlerine anti-ypérite, entretien de l’armement ou apprentissage
de chansons
Weitere Kostenlose Bücher