Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
accablé, profondément triste, persuadé qu’un cataclysme s’est abattu sur l’Église d’Angleterre et qu’il en est responsable puisqu’il n’a pas su l’éviter. Au retour de Clarendon, il exprime toute son amertume à Herbert de Bosham : « Car ce n’est pas un hasard si l’Église sous mon pontificat se trouve dans une situation pareille. Pour arriver là où je suis, je ne suis sorti ni d’un monastère, ni d’une quelconque maison religieuse. Je ne suis pas venu de l’école du Seigneur, mais du palais de César. Orgueilleux et futile, d’oiseleur je suis devenu pasteur de brebis. J’étais le protecteur des histrions, le gardien des chiens, et l’on m’a confié des âmes. […] Rien dans ma vie passée ne m’avait préparé à veiller au salut de l’Église. Et voilà où nous en sommes ! Je vois bien que je suis d’ores et déjà abandonné de Dieu, et je ne mérite pas d’être chassé d’une fonction où j’ai été élu mais dont je ne suis pas digne. » Thomas se replie sur lui-même, jeûne plus encore que d’habitude, s’inflige pénitence sur pénitence, se couvre des vêtements les plus grossiers, ne célèbre plus la messe et envoie une lettre au pape pour lui demander son pardon et son absolution. Alexandre III les lui accorde bien volontiers tout en lui conseillant « d’être agréable au roi – qu’il nomme dans sa lettre “notre très cher fils en Jésus-Christ, Henri, roi d’Angleterre” – en tout et partout, en sauvegardant l’honneur de l’Église ».
Le pape conserve toute son affection à Thomas mais, toujours soucieux de ne pas indisposer les Plantagenêt à l’égard de la papauté, il donne au roi d’Angleterre un gage de conciliation en retirant la légation pontificale à l’archevêque de Canterbury et en la donnant à Roger de Pont-l’Évêque, archevêque d’York, son indéfectible ennemi. Encore une fois, tout semble se passer presque en dehors de Thomas : Henri et Aliénor jouent une partie d’échecs dont ils sont peut-être les seuls à connaître les règles et la finalité, manipulent les uns et les autres, et utilisent habilement les situations – en l’occurrence la fragilité de l’autorité pontificale –, leur puissance financière et les clercs extrêmement compétents qu’Henri a su réunir autour de lui.
Thomas Becket, une nouvelle fois, entend les conseils du pape. Il reprend le chemin de Woodstock pour rencontrer le roi. Henri refuse catégoriquement de le recevoir. L’archevêque comprend qu’une page est désormais tournée. Il choisit de quitter le territoire anglais, fait plusieurs tentatives pour s’embarquer mais à chaque fois les vents lui sont contraires ou les marins refusent de le conduire. Il est obligé de renoncer. Tout semble s’acharner contre lui. Apprenant ces tentatives, Henri se laisse aller à une colère terrible. Calmé, il revient sur son refus de rencontrer Thomas et tente une conciliation ; le roi est lui aussi tiraillé entre sa raison et ses affects. Les deux hommes se voient mais ils ne peuvent plus se comprendre. Henri aura cette phrase : « Ainsi vous voulez quitter mon royaume ? Je suppose qu’il n’est pas assez grand pour que nous puissions y rester et l’un et l’autre. »
Il faut maintenant en finir. Henri va utiliser un procès plus ou moins fabriqué, à propos d’une terre appartenant à l’archevêché pourtant revendiquée par un seigneur fidèle à la couronne, pour confronter Thomas au nouveau cadre juridique proposé par les Constitutions. Une première audience a lieu le 14 septembre 1164 ; l’archevêque ne vient pas en personne et se fait représenter par quatre chevaliers. Le roi accepte de renvoyer l’audience. Il convoque Thomas à Northampton le 6 octobre, cette fois-ci devant tous les grands du royaume. L’audience a lieu un jeudi matin. D’emblée il n’est plus question de cette histoire de terrains mais le roi accuse l’archevêque de forfaiture pour ne pas avoir comparu la première fois. Tous ses biens sont confisqués au profit de la couronne. Thomas proteste devant cette grandiloquente mascarade. Le roi exige de tous les hauts dignitaires présents qu’ils approuvent la sentence. Ils atermoient. Henri entre alors en fureur et soulève des questions d’argent. Il réclame des sommes perçues par Thomas lorsqu’il était chancelier. On argutie, on discutaille. Le roi a très bien fait préparer le dossier. L’archevêque est
Weitere Kostenlose Bücher