Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
question du Danegeld que le ton va monter entre Thomas et Henri. Le Danegeld est un impôt de deux sous instauré par Guillaume le Conquérant pour financer la lutte contre l’envahisseur danois. Il était perçu par les comtés sur l’ensemble du territoire de l’Angleterre. La raison de cet impôt avait disparu depuis longtemps mais, comme c’est souvent le cas, l’argent était toujours versé. Henri n’avait pas l’intention de le supprimer mais d’en transférer le profit des comtés vers le trésor royal. Thomas s’y opposa violemment au nom des anciennes coutumes, criant à l’abus de pouvoir et au détournement de fonds, mais craignant surtout qu’ensuite le roi ne s’en prenne à la répartition des finances de l’Église. Stupéfaction du souverain dont le chroniqueur Édouard Grimm se fait l’écho : « Par les yeux de Dieu, s’écria-t-il, on portera cet impôt sur les revenus de la couronne, et vous n’avez aucune raison de vous y opposer parce que cela ne lèse personne !
— Je vous jure, répondit Thomas, que nul tenancier, sur l’ensemble des terres de l’Église, ne vous versera le moindre sou. »
On en était resté là. Le roi choisit de ne pas envenimer les choses mais il était clair pour tous les présents qu’il ne ravalerait pas sa bile très longtemps.
Thomas Becket connaissait bien le roi. Il sentait lui aussi que l’amitié d’Henri à son égard était en train de se transformer en ressentiment et en méfiance. C’est à cette période que l’archevêque envoie une lettre à Alexandre III dans laquelle il fait part de son inquiétude non sans dramatiser les choses : « Les orages se succèdent comme les vagues de la mer, et nous allons faire naufrage. Que nous reste-t-il à faire sinon nous efforcer de réveiller celui qui semble dormir dans la barque en lui disant : “Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons.” L’iniquité a bien choisi son moment. Elle a vu l’état précaire de l’Église romaine, et elle a cru l’occasion favorable pour l’exécution de ses noirs desseins… […] Le pouvoir met la main sur l’héritage même du Seigneur. Les enseignements des saints Pères et les prescriptions des canons dont on conteste ici jusqu’au nom même, tout cela est impuissant à protéger les clercs. Et pourtant, ceux-ci avaient joui jusqu’ici du privilège de l’exemption par rapport à la juridiction des laïcs. Mais il serait long et fastidieux de raconter par écrit tous les détails de nos souffrances. […] Je vous supplie de garder sur mes confidences le secret le plus absolu. Nous sommes espionnés. Le roi est tenu au courant de presque tout ce qui se dit ici, fût-ce à l’oreille ou dans l’intimité de ma chambre… »
Dans sa lettre, Thomas parle de l’exception des clercs des juridictions laïques ; il s’agit du point de friction essentiel entre les deux hommes et c’est sur ce point, bien évidemment, qu’une étape supplémentaire va être franchie dans leur marche mutuelle vers l’affrontement ouvert.
Le 1er octobre 1163, Henri et Aliénor réunissent le parlement dans le palais de Westminster à Londres. Au cours des deux années précédentes, le problème de l’exception de juridiction s’était posé à de nombreuses reprises. Le roi en avait assez et voulait crever l’abcès. Il choisit de le faire très habilement. Il proposa d’instituer une sorte de complémentarité des juridictions : les clercs seraient jugés par une cour ecclésiastique en présence d’un officier royal. Dans le cas où ils seraient jugés coupables, ils seraient alors automatiquement rendus à l’état laïque et passeraient devant une cour royale qui appliquerait le châtiment. Autrement dit le roi ne proposait pas d’abolir le for, il lui conservait l’action de juger, mais transférait à la justice civile celle de punir. Une grande partie des prélats, qui ne s’attendaient pas à cette proposition, étaient prêts à accepter, mais Thomas les réunit à huis clos et réussit à les persuader de refuser. Henri demanda alors aux évêques de faire le serment d’observer les « anciennes coutumes », c’est-à-dire de revenir aux rapports existant entre le pouvoir royal et l’Église du temps d’Henri 1er. L’année précédente, l’épiscopat normand avait accepté ce « retour en arrière » demandé par le Plantagenêt. Il s’agissait donc d’une stratégie de gouvernement très élaborée.
En fait Henri avait
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