Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
pris de court et ne sait comment se défendre. Ces sordides questions d’argent durent trois jours ; elles ne sont qu’un prétexte, tout le monde s’en rend compte. Au fur et à mesure Thomas perd des partisans qui se disent qu’il vaut peut-être mieux sacrifier un homme et sauver l’Église. L’archevêque en vient à tomber malade et à se trouver cloué au lit, toute la journée du lundi suivant, le 10 octobre, par un épouvantable mal de dos. Henri croit à une feinte et envoie des gens pour vérifier l’état du primat…
C’est le mardi que tout va se jouer. Il est très difficile de reconstituer précisément les événements tant les témoignages divergent. Il est sûr que Thomas se présente à la résidence du roi vêtu de ses ornements d’archevêque et la crosse en main ; lui aussi a toujours eu le sens du spectacle. Le roi exige que Thomas reconnaisse enfin les Constitutions sans aucune restriction ; l’archevêque refuse plus catégoriquement que jamais. Le ton monte. Le roi, toujours prompt à la colère, ordonne aux prélats et aux barons de condamner Thomas pour félonie. Les barons obtempèrent. Les hommes d’Église, eux, sont terrorisés. Ils sont pris au piège ! Ils ont apposé leur sceau sur les Constitutions, ils ne peuvent manquer à la foi jurée au roi. On crie. On pleure. On tremble. Finalement l’assemblée des grands du royaume déclare Thomas Becket, archevêque de Canterbury, rebelle, traître à son roi, et ordonne qu’il soit arrêté. C’est la confusion la plus totale. Thomas en profite pour se diriger vers la porte. Les injures fusent. On tente de s’interposer mais l’archevêque parvient à sauter sur son cheval et à sortir de la ville.
Le lendemain, l’archevêque a disparu. Quinze jours durant, entouré d’une poignée de fidèles, il se cache, voyageant de nuit, évitant les officiers royaux lancés partout à sa recherche. Il réussit à gagner la côte et à monter sur un petit esquif. Le 2 novembre il débarque sur le continent, à quelques kilomètres de Gravelines, sur les terres de Mathieu de Boulogne, allié du roi d’Angleterre. Il lui faudra encore voyager clandestinement, manquant plusieurs fois d’être découvert, se cachant dans un marais, avant de parvenir le 7 novembre sur les terres de Thierry d’Alsace, vassal de Louis VII.
Ce n’est qu’auprès du roi de France que Thomas le proscrit peut maintenant chercher aide et assistance. Henri le sait qui dépêche aussitôt des émissaires auprès de Louis VII, porteurs d’une lettre très véhémente l’informant que : « Thomas, ci-devant archevêque de Canterbury, a été jugé publiquement en ma cour, dans une assemblée plénière de barons de mon royaume, et convaincu de manœuvres perverses, de trahison et foi mentie envers ma personne », et lui demandant de ne « donner aucune aide ou conseil et interdire à [ses] sujets de lui prêter assistance ». Louis eut beau jeu de s’étonner : « Quoi donc ! Un prélat jugé et destitué par le roi ! Comment cela se peut-il faire ? Je suis roi, moi aussi, dans mon royaume autant que le roi d’Angleterre dans le sien, et pourtant il est tout à fait hors de mon pouvoir de destituer le moindre petit clerc de mon royaume. » Les ambassadeurs, surpris du ton de la réponse du Capétien, lui rappelèrent que Thomas, chancelier d’Angleterre, avait été l’un de ses ennemis les plus acharnés. À quoi Louis, s’énervant un peu, répondit que Thomas avait en cela servi son maître en serviteur loyal, ce qui était tout à fait digne de respect : « S’il avait été le mien, il m’aurait pareillement servi. Et vous voudriez que je rende le mal pour le bien ? » Les ambassadeurs considérèrent qu’il valait mieux en rester là et se retirèrent en demandant néanmoins au Capétien d’envoyer une lettre de soutien à Henri. Le roi de France répondit : « J’en enverrai une, pour le coup, mais qui n’ira pas dans le sens que vous espérez ! »
Tout était dit !
De fait, Thomas Becket passera les cinq années à venir en terre capétienne et ne reviendra en Angleterre qu’en 1170, pour y connaître une fin tragique.
17 La rose immonde
Au cours des deux années d’affrontement entre Henri et Thomas, Aliénor est restée en retrait. On ne sait pas grand-chose de l’opinion de la reine sur cette question. Qu’elle ait soutenu son royal époux semble une évidence mais a-t-elle mesuré, au fur et à
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