Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
devant les « conseils » insistants du pape. En décembre, il se rend à Woodstock où Henri et Aliénor se trouvent dans une de leurs résidences préférées qu’ils ont sans cesse embellie au cours des années. Le roi reçoit l’archevêque avec amabilité. Thomas prête son hommage libre, persuadé, par ce geste de conciliation, d’apaiser la situation selon le souhait du pape. L’archevêque s’estime quitte, mais le roi ne l’entend pas ainsi. Il exige que Thomas renouvelle son serment devant témoins sous prétexte que l’affront avait été public et que la réparation devait l’être également. La « réparation » doit donc se passer à Clarendon devant barons et évêques réunis.
Dans les jours qui précèdent la réunion, l’atmosphère se tend. Les chroniqueurs notent une ambiance lourde où tout le monde se sent espionné, traqué. Tout cela est le prélude à un événement important. On discuta beaucoup, avant que la séance ne commence, sur ces fameuses coutumes et sur ce que le serment impliquait pour l’avenir de l’Église. Thomas était l’objet de toutes les pressions. Ceux de son camp estimaient qu’il ne fallait pas s’entêter face à un roi vindicatif et coléreux, que ce dernier avait donné suffisamment de gages sur la simple formalité du serment. Certains de ceux qui n’étaient pas de son camp ne voyaient pas d’un mauvais œil que Thomas se discrédite un peu plus auprès d’Henri, mais ils commençaient à craindre que l’obstination de l’archevêque ne finisse par nuire à l’Église, donc à eux-mêmes. Ceux qui n’avaient pas oublié la manière dont le chancelier avait pressuré l’Église lorsqu’il était au service du roi trouvaient un peu étrange qu’il s’érige maintenant en « gardien du temple »… Bref Thomas cède. Devant la cour au grand complet il fait hommage au roi et promet de respecter les coutumes du royaume. Dans la foulée, tous les évêques prêtent serment.
C’est alors que se produit un coup de théâtre. Sur un signe du roi, un clerc apporte une charte sur laquelle étaient transcrites noir sur blanc ces coutumes. C’est un moment crucial dans l’histoire de l’Angleterre. Jamais, jusqu’à ce jour, les coutumes régissant les rapports entre pouvoir civil et clérical n’avaient été fixées. Il s’agissait d’un droit oral, ce qui permettait des interprétations, des accommodements, pour peu que les parties en présence fassent preuve de souplesse et de volonté de trouver un terrain d’entente, ce qui depuis un siècle avait relativement bien fonctionné. Écrire ces coutumes – et on se doute que les juristes d’Henri et Aliénor les avaient interprétées dans un sens très favorable à la couronne –, c’était empêcher désormais toute discussion, toute « négociation »… Le coup a été préparé de longue date par le roi. Trois exemplaires de ces Constitutions de Clarendon – c’est sous ce nom qu’elles sont entrées dans l’histoire – ont été rédigés. La charte est composée de seize articles, très détaillés et très précis, qui montrent clairement les intentions d’Henri à l’égard de l’Église, comme le souligne Pierre Aubé : « Le but d’Henri II était unique et simple : soumettre l’Église d’Angleterre au droit commun pour faire triompher l’autorité de l’État. Les moyens pour y parvenir s’organisaient en un triptyque de belle ordonnance : aligner sa puissance temporelle sur des pratiques féodales admises par tous ; éradiquer ses privilèges en matière judiciaire ; entraver ses rapports avec la papauté jusqu’à en faire une Église auto-céphale {46} . » Cela ressemble beaucoup à ce qu’Henri VIII fera quelques siècles plus tard et qui deviendra l’Église anglicane !
Les prélats sont à peine revenus de leur surprise qu’Henri exigea « par mesure de précaution » qu’ils apposent leur sceau sur le document. Tous les évêques s’exécutèrent sans difficulté sauf un, Thomas, qui refusa : « J’en atteste le Dieu tout-puissant, moi vivant, jamais on n’apposera mon sceau sur une charte pareille ! » Henri n’insista pas. Il considéra que la signature de tous les autres prélats était pour le moment suffisante et qu’il avait gagné la partie.
Les témoins de la vie de l’archevêque de Canterbury qui l’accompagnent dans les semaines suivant les assises de Clarendon sont unanimes : Thomas Becket est
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