Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
c’est l’habitude dans les familles princières – leurs deux filles âgées de sept ans et dix-huit mois. Elles restent, en quelque sorte, « propriété » de la cour de France. On ignore si cette séparation fut douloureuse pour la jeune femme. Elle savait alors qu’elle ne reverrait pas ses filles de sitôt.
Pour cette première étape à Blois, la duchesse avait sans doute projeté de dormir dans lune des abbayes de la ville. On était à la veille des Rameaux et les abords de la ville s’emplissaient d’une foule joyeuse qui s’apprêtait à fêter l’événement. Au milieu de cette population, la petite troupe entourant Aliénor devait passer inaperçue, d’autant que la nouvelle de l’annulation du mariage royal n’était sans doute pas encore parvenue au peuple. C’est probablement cet anonymat qui permit aux hommes de la duchesse de se mêler à la foule, d’échanger quelques phrases avec les habitants et d’apprendre qu’on avait observé de nombreux et inhabituels mouvements d’hommes d’armes autour du château où résidait le jeune comte Thibaud, second fils de Thibaud de Champagne. Aliénor n’eut pas à réfléchir très longtemps pour comprendre qu’elle représentait pour ce cadet de famille, promis au mieux à une petite carrière militaire, une chance inespérée de fortune, qu’il avait sans doute l’intention de s’emparer d’elle, et de l’obliger, par tous les moyens possibles – et ce n’était pas chose impossible à l’époque –, à l’épouser. Il valait mieux ne pas s’attarder. Elle réunit ses hommes et quitta la ville au milieu de la nuit.
Le danger avait été écarté mais il était réel et rappelait à Aliénor – pouvait-elle l’oublier un instant ? – combien elle était un parti intéressant. Elle avait peut-être commis une erreur en décidant de voyager avec si peu de gens. La troupe pressa le pas mais le voyage vers les États poitevins ne pouvait se faire en une seule fois. La duchesse choisit de prendre une nuit de repos à Tours, sur les terres des Plantagenêt. Peut-être s’y sentait-elle déjà en sécurité ? Toutefois on ne commet pas deux fois la même erreur et, rendue prudente par l’enlèvement avorté de Blois, elle envoya des éclaireurs avant de reprendre la route. L’idée était bonne. On apprit que le frère cadet d’Henri, Geoffroy, attendait la duchesse avec la ferme intention de s’emparer d’elle et, lui aussi, de l’épouser de force. Décidément la belle duchesse excitait les ardeurs des cadets de famille ! Peut-être Geoffroy avait-il eu vent de bruits concernant un éventuel mariage de son frère avec Aliénor et aurait-il été ravi de lui « souffler » la dame ? Ou plus prosaïquement, mécontent du maigre héritage dont Henri lui laissait la jouissance, se sentait-il, du haut de ses seize ans, une âme de duc d’Aquitaine et comte de Poitou ? Toujours est-il qu’il avait installé une véritable embuscade à Port-de-Piles, là où Aliénor et son escorte devaient franchir la Creuse. Il fallut changer d’itinéraire et passer la Vienne à gué, en aval du confluent. On galopa ensuite vers Poitiers.
Aliénor entre dans sa ville le 1er ou le 2 avril 1152, sans aucun doute soulagée d’être à bon port. Elle peut rire maintenant des deux embuscades auxquelles elle a échappé et de la déconvenue des Thibaud et Geoffroy, mais l’alerte a été chaude. Si elle avait eu la tentation de jouir un peu de sa liberté retrouvée et d’attendre pour se trouver un nouveau mari, ces épisodes l’auraient sans doute fait réfléchir. Certes elle a repris ses terres et son indépendance vis-à-vis de Louis VII et de la couronne de France, mais une femme ne peut administrer seule un aussi vaste domaine. Surtout lorsqu’il est composé d’une bonne partie de petits seigneurs aquitains réputés pour avoir la tête frondeuse et le sang chaud, et qu’« administrer » veut dire souvent faire respecter son autorité les armes à la main !
Pour l’heure les Poitevins et leur comtesse sont tout à la joie des retrouvailles. Poitiers s’apprêtait à célébrer Pâques lorsqu’Aliénor franchit ses murs, et on imagine que cette année-là, la ville redoubla de fêtes.
Ce mois d’avril 1152 voit la jeune femme déployer une intense activité. Dans un premier temps elle reconstitue sa cour à Poitiers. C’est une tradition qui remonte au grand-père d’Aliénor, Guillaume le Troubadour. À
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