Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
peine la nouvelle du retour d’Aliénor dans ses terres est-elle connue que poètes, jongleurs, baladins, ménestrels accourent dans la capitale poitevine. Tous sont persuadés que la petite-fille du Troubadour ne peut que relancer une activité littéraire un peu endormie ces dernières années ; ils ont raison. Aliénor doit aussi reprendre en main l’administration de ses domaines. Non qu’elle en ait été exclue pendant son mariage. Je ne crois pas un seul instant qu’elle ait laissé Louis gouverner seul ses propres terres. Mais lorsqu’elle s’est mariée, elle avait quatorze ans, elle ne connaissait rien à la politique. Pendant ses années de mariage, elle a beaucoup appris, entourée, protégée en quelque sorte par un mari et des conseillers. Cette fois-ci, elle est seule, et c’est à elle de composer son entourage. Durant la croisade, on lui a beaucoup reproché de passer du temps avec ses barons aquitains. Maintenant ce temps lui sert, elle a appris à les connaître, à les estimer, et elle choisit. Des Sadebreuil de Sanzay, des Raoul de Faye constitueront désormais son conseil et ils lui seront fidèles. Tout au long de sa vie, Aliénor s’est rarement trompée sur les membres de son entourage. C’est une des premières qualités de l’homme ou de la femme d’État ; dès son retour à Poitiers, la jeune femme montre que cette qualité fait partie de celles qu’elle a su développer.
La duchesse d’Aquitaine et comtesse du Poitou n’a pas à se plaindre de l’état de son domaine quand elle le reprend. L’administration de Louis VII a été bonne. Il a donné la prépondérance au titre de duc d’Aquitaine par rapport à celui de comte de Poitiers, ce qui semble insignifiant mais qui en réalité a transformé en profondeur le maillage administratif des États. L’autorité des prévôts et du sénéchal a été accrue ; ils constituent le meilleur relais de l’autorité ducale. En 1138, le roi a réprimé une tentative de la ville de Poitiers de se constituer en commune libre ; la ville est rentrée dans le rang et l’exemple a porté. Dans le même registre Louis VII a su contenir les turbulents seigneurs de Talmont, de Comborn, de Châtelaillon. L’ordre règne et les terres sont prospères. Aliénor retrouve un domaine en meilleur état que lorsqu’elle l’avait apporté à la couronne. Elle aurait mauvaise grâce à se plaindre de Louis sur ce point.
En marge d’une activité officielle, visible, des observateurs attentifs peuvent remarquer des va-et-vient secrets de messagers autour du palais d’Aliénor. Il est clair qu’il se passe quelque chose de suffisamment important pour qu’on l’entoure de silence. Il ne faudra pas attendre très longtemps pour savoir. Le 18 mai, les cloches de la cathédrale résonnent à toute volée. Elles annoncent le mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri Plantagenêt.
21 mars le divorce, 18 mai le remariage ; le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Aliénor savait ce qu’elle voulait et qu’elle n’a pas traîné à mettre son projet à exécution. Gervais de Canterbury raconte : « Aliénor envoya secrètement au duc des messagers pour lui annoncer qu’elle était redevenue libre, le pressant de contracter mariage avec elle. On disait en effet que c’était elle, par son habileté, qui avait obtenu cette répudiation pleine d’artifice. Le duc, séduit par la noblesse de cette dame, et surtout envahi de désir de posséder les honneurs qui relevaient d’elle, sans hésiter davantage prit avec lui seulement quelques compagnons, suivit les chemins les plus courts, et, au bout de très peu de temps, il réalisa ce mariage qu’il avait, déjà auparavant, hautement désiré. » Les choses sont dites assez clairement : Aliénor a tout combiné, elle s’est arrangée pour divorcer, a proposé le mariage à Henri qui s’est empressé d’accepter parce qu’il faisait une très bonne affaire, que la duchesse était fort bien dotée et qu’en plus – il serait désolant que le futur roi d’Angleterre passe pour un homme uniquement intéressé – il était séduit par son charme et sa dignité. Il n’est pas trop question d’amour dans tout cela, mais ce n’est pas forcément dans les attributions des chroniqueurs de se préoccuper des sentiments. Ou alors pour s’étonner qu’ils existent, comme nous l’avons vu concernant Louis VII et la passion qu’il portait à sa femme. Y avait-il de
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