Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
de l’an mil et jusqu’à la moitié du XIIe siècle, se sont créées des sortes de « principautés » comme la Champagne, les Ardennes, les comtés de Blois, de Toulouse, de Poitou, d’Anjou, la Bourgogne, l’Aquitaine, la Normandie… Plus ou moins riches, ayant toutes des velléités d’indépendance plus ou moins affirmées, elles se sont donné comme autorité supérieure un roi, Hugues Capet, le « duc des Francs ». Le roi n’est pas le plus riche – donc le plus puissant – des princes du royaume ; les hésitations de Louis VII à se séparer d’Aliénor et des terres qui lui appartiennent l’ont bien montré. Les premiers souverains de la dynastie capétienne – Louis est le sixième – ont sans cesse dû faire preuve de diplomatie pour maintenir leur autorité, considérablement aidés par le clergé qui joua un rôle déterminant dans l’affermissement du pouvoir capétien.
Lorsqu’Henri et Aliénor se marient, en 1152, les Capétiens portent la couronne depuis 165 ans. Durant cette période, aucune des grandes familles féodales n’a détenu autant de puissance qu’Henri et Aliénor après leur union ; et je ne me réfère qu’à leurs possessions continentales, il faudra ensuite y ajouter l’Angleterre et l’Irlande. Pour comprendre l’histoire de ce couple, il ne faut jamais perdre de vue que sa constitution même a influé sur le cours de l’histoire et, s’il s’agit bien sûr d’un homme et d’une femme, la puissance créée par la réunion de leurs territoires respectifs a engendré des possibilités inimaginables jusque-là. Au service de l’ambition démesurée d’Henri, partagée pour une grande part par Aliénor, cette union a permis la création de ce que l’on a quelquefois appelé l’« empire Plantagenêt {10} ».
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Que sait-on précisément d’Aliénor ? Qui est-elle ? Nous l’avons vu, les textes de l’époque ne nous disent rien. Elle était perpulchra, très belle, et débrouillons-nous avec ça ! On ne sait même pas si elle était brune ou blonde ; la plupart des historiens s’accordent à la dire blonde sans que rien ne l’atteste. Elle était très certainement mince, car les canons de beauté de l’époque ne prisaient pas particulièrement les formes arrondies. On peut, sans trop craindre l’erreur, dire qu’elle était élégante, « racée », avec beaucoup de charme – après tout la légende en a fait une séductrice acharnée –, avec une autorité naturelle, une présence innée. Qu’elle ait été très intelligente ne fait aucun doute ; tout au long de sa vie, ses actes, son sens de la politique et du gouvernement nous le prouvent. Ce sont aussi ces actes et les quelques textes émanant d’elle qu’il nous faut interroger pour tenter de connaître un peu sa personnalité. Le travail du biographe est inverse de celui du romancier qui crée des personnages, les structure psychologiquement avant de les faire évoluer dans une situation qu’il a inventée. En histoire, il nous faut partir des actes, de ce que l’on sait de leur contexte, les relier de manière à dégager des constantes de comportement qui permettent d’extrapoler et de se faire une idée plus ou moins précise de la personnalité du héros… ou de l’héroïne.
Aliénor passera à Bordeaux, la capitale aquitaine, toute son enfance, au palais de l’Ombrière. À peine mariée au roi de France, nous la voyons se mêler des affaires de l’État en faisant preuve de caprice et de légèreté. En 1138, les bourgeois de Poitiers – la ville d’Aliénor – tentent de constituer une commune, la jeune femme pousse le roi à organiser une opération pour rétablir son pouvoir. Les habitants de la ville ne pèsent pas grand-chose contre les machines de guerre de Louis et d’Aliénor. Tout rentre vite dans l’ordre mais Aliénor ne supporte pas que l’on résiste à son autorité, elle exige, en plus de la dissolution de la commune, d’emmener en otage les fils et les filles des principaux bourgeois. Il faudra de longues tractations et l’intervention de l’abbé Suger pour que la jeune femme renonce ; elle en gardera rancune à l’abbé et aux Poitevins. À plusieurs reprises, au cours des premières années de leur mariage, le roi mènera de semblables expéditions pour faire rentrer dans le rang des seigneurs récalcitrants : ce sont toujours des vassaux d’Aliénor. La jeune femme est très sourcilleuse sur les questions
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