Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
rapidement à retrouver le chemin des caisses de la couronne. La reddition des comptes donnait lieu à la tenue de la fameuse « séance de l’Échiquier » qui avait lieu deux fois par an, à Pâques et à la Saint-Michel, soit à Londres, soit à Winchester où était entreposé le trésor royal. Le nom de cette séance provenait de la nappe à damier faisant penser à un échiquier qui recouvrait une grande table placée au centre de la salle où se déroulait la séance. Une foule de petits fonctionnaires se présentaient pour rendre des comptes devant un aréopage de barons, hauts fonctionnaires et prélats qui constituaient une sorte de « tribunal administratif ». Nous connaissons en détail le déroulement des séances par le récit qu’en a fait Richard Fils-Néel, évêque de Londres et trésorier d’Henri II, dans son célèbre Dialogus de Scaccario – Le Dialogue de l’Échiquier – que la plupart des historiens considèrent comme le premier manuel administratif connu en Occident. « Sous leurs yeux, le trésorier et son clerc, aidés de deux chambellans et de deux chevaliers, cochaient sur des tailles de bois les sommes reçues et disposaient les jetons sur la table qui jouait le rôle d’une machine à calculer : un même jeton, suivant la place qu’il occupait, signifiait un denier ou, à l’autre extrémité des sept colonnes entre lesquelles la table était partagée, dix mille livres. On vérifiait ainsi les comptes rendus par les sheriffs et, une fois le contrôle achevé par les grands officiers du royaume – chancelier, justiciers, connétable et maréchal –, l’argent était disposé dans des coffres tandis qu’une armée de clercs s’occupait à transcrire sur des rouleaux de parchemin les relevés des comptes ainsi opérés… » Ces rouleaux étaient les fameux Pipe’s Rolls – les Rôles de la pipe – qui se présentaient sous forme de longs vélins cousus bout à bout. Le Public Records Office de Londres conserve encore de nos jours la collection presque complète de ces Rolls pour le règne d’Henri II ; une des sources de documentation les plus anciennes, les plus riches et les plus complètes dont les historiens disposent sur cette époque. Comme le remarque Martin Aurell, le Dialogue de l’Échiquier « fait la démonstration de ce que devraient être les bonnes orientations financières du royaume : “L’argent semble aussi nécessaire en temps de guerre que de paix. D’une part, il est versé pour renforcer les enceintes des villages ou pour payer les soldes et autres gages en fonction de la qualité des personnes ; le tout pour conserver le bon état du royaume. D’autre part, alors que se tait le bruit des armes, des églises sont construites par les princes pieux, le Christ est dans la personne du pauvre et Mammon est distribué par la pratique des autres œuvres de miséricorde.” Ce programme donne la priorité à la défense militaire par la construction castrale et par la rémunération des guerriers ; il encourage le patronage des églises, l’assistance et la charité. Héritier de la vieille tradition augustinienne, il présente le roi menant une guerre juste et défensive, favorisant le culte chrétien et soulageant la misère de ses sujets. » Mais M. Aurell précise également que la modernité du système administratif des Plantagenêt n’est vraie que pour l’héritage anglo-normand, c’est-à-dire l’Angleterre et le duché de Normandie. Cette modernité « contraste avec le caractère embryonnaire de l’administration en Anjou ou en Aquitaine, où quelques prévôts exploitent les seigneuries du comte et tentent d’imposer, tant bien que mal, sa justice autour d’elles ».
Le principal problème que les nouveaux souverains anglais ont à affronter au cours de l’année 1155 reste, malgré tout, la mise au pas des barons et de leurs habitudes d’indépendance. Henri est un roi centralisateur dans la tradition des souverains anglo-normands. Mais il pousse les choses plus loin que ses prédécesseurs. Il a une conception très personnelle et autocratique du pouvoir qui, par ailleurs, ne fera que se radicaliser tout au long de sa vie. Dans ce domaine, il est tout à fait à contre-courant de l’évolution politique de son époque marquée par une tendance au développement de principautés dont les seigneurs manifestent une nette volonté d’émancipation vis-à-vis du pouvoir royal. C’est très précisément le
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