Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine

majorité, ils décident de passer outre le vote à l’unanimité et s’apprêtent à poser sur les épaules de Rolando Bandinelli le manteau pontifical ; ce geste rituel et ostentatoire donne un caractère définitif à la désignation du nouveau pape. Comprenant qu’ils vont perdre la partie, les Impériaux sèment la confusion dans la basilique. Monticello se précipite sur Bandinelli et lui arrache le manteau ; on le lui arrache à son tour pour le remettre sur les épaules du cardinal sicilien… c’est la mêlée, l’anarchie la plus totale, on crie et on s’agite dans tous les sens. Profitant du désordre, Monticello sort une copie du manteau qu’il avait avec lui – mais non, rien n’était prémédité ! –, l’enfile, à l’envers, se précipite vers la sortie pendant que ses partisans ouvrent les portes de la basilique, se présente devant la foule et se fait acclamer pape. Il entame un Te Deum. Une partie du public se met à chanter avec lui, l’autre envahit l’édifice et commence le pillage. Sur fond d’émeute, Ottaviano de Monticello devient le pape Victor IV.
    Les Siciliens sont emprisonnés pendant une dizaine de jours et finalement parviennent à s’enfuir. Ils se réfugient à Ninfa où, le 20 septembre, Rolando Bandinelli est consacré pape sous le nom d’Alexandre III. Un des plus longs règnes de l’histoire pontificale commence, qui durera vingt-deux ans. Un des plus mouvementés aussi puisque Alexandre III devra affronter trois antipapes, un empereur d’Allemagne déchaîné, une population romaine versatile qui menacera à plusieurs reprises sa sécurité… Au final, c’est le Saint-Siège qui remportera la partie grâce à l’obstination de cet homme doué d’un grand sens de la diplomatie ; incontestablement, l’un des plus grands papes de l’histoire.
    En septembre 1159, on se trouve donc dans une situation schismatique qui va bien évidemment avoir d’importantes répercussions sur les relations internationales de l’époque. Pour simplifier, observons que quatre grands pouvoirs se partagent l’Ouest de l’Europe, chacun étant à la foi temporel et spirituel mais à des degrés différents. Aux deux extrémités, il y a le Saint-Empire de Frédéric Barberousse à l’est et l’empire Plantagenêt d’Henri et Aliénor à l’ouest. Entre les deux, le royaume de France. Au sud, au centre de la péninsule italienne, les territoires du pape. L’affrontement entre Alexandre III et Frédéric Barberousse va monopoliser la puissance allemande {35} , ce qui aura pour conséquence de relâcher la pression que l’empereur exerçait sur le roi de France, lequel pourra concentrer son énergie à contenir les ambitions des Plantagenêt. Alexandre et Frédéric vont chacun devoir en permanence rechercher l’appui du Français et de l’Anglais, leur donnant ainsi la possibilité de « jouer » de leur soutien au gré de leurs intérêts respectifs. C’est ainsi, par exemple, qu’à plusieurs reprises Alexandre III ne soutiendra que très mollement Thomas Becket dans son affrontement avec Henri. Pourtant, au-delà des oppositions de personne, le fond du problème sera l’indépendance de l’Église d’Angleterre par rapport au pouvoir royal et sa sujétion à la papauté : la cause défendue par Thomas aurait donc dû recevoir un appui sans réserve du pape.
    L’année 1159 est une année importante car l’élection mouvementée du nouveau pape et le schisme qui en découle modifient en profondeur les lignes de force de la politique européenne.
    Cinq personnalités dominent : Frédéric, Alexandre, Aliénor, Henri et Louis. Cinq personnalités exceptionnelles qui, durant deux décennies, poseront quelques pierres importantes à l’édifice européen dont nous avons hérité. La première moitié du XIIe siècle avait été celle de l’esprit avec la découverte de la pensée aristotélicienne et de grands intellectuels comme Abélard ou Bernard de Clairvaux ; la seconde moitié est celle des grands politiques, un temps où la société féodale se codifie se construit, par les actions simultanées de cinq géants de l’histoire.
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    Retrouvons Aliénor et Henri en route vers l’Aquitaine. Thomas Becket ne les accompagne pas. Le chancelier est retourné en Angleterre avec pour mission de récolter des fonds et de réunir des hommes pour la campagne toulousaine que les souverains anglais s’apprêtent à lancer. Les historiens s’accordent