Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
la cour et donc de la faveur du prince, se jalousent et font preuve d’amertume lorsqu’ils sont en disgrâce. Gautier Map, qui fut lui-même un courtisan, ne se prive pas de critiquer la cour.
On trouve également, chez les chroniqueurs de l’époque, un certain dédain, voire du mépris, pour les membres de la petite noblesse, classe sociale de plus en plus représentée à la cour du Plantagenêt. Le règne d’Henri est marqué par un changement d’origine d’une grande partie de l’entourage royal. Sa famille s’est jusque-là appuyée sur le baronnage angevin dans un premier temps, ensuite remplacé par le baronnage normand qui, dans les premières années de son règne, fournira les meilleurs soutiens de son pouvoir naissant. Progressivement le roi se détachera des Anglo-Normands, pour s’entourer de personnalités issues de l’aristocratie anglaise, souvent même de la petite aristocratie, voire de la roture. Il favorise ainsi l’émergence d’un nouveau « personnel féodal » qui lui devra son ascension sociale et sa fortune. Nous verrons sans cesse le roi distribuer des terres à cette petite noblesse avec toutefois le souci de ne pas trop réduire les terres de la couronne. Pour cela il développera, entre autres, une « politique matrimoniale ». En 1185, il fait dresser les Rotuli de domina-bus, puellis et pueris – Rouleaux de dames, filles et garçons –, liste regroupant les veuves et les orphelines les plus importantes de douze comtés d’Angleterre. Henri peut ainsi marier ces héritières à ses conseillers les plus fidèles, ce qui d’une part lui permettait de s’assurer de leur loyauté et d’autre part d’éviter que ces terres ne viennent agrandir par mariage les domaines des grandes familles féodales. On recherche aussi beaucoup, parmi les membres de l’aristocratie, la tutelle d’orphelins dont on administre les biens le plus souvent à son propre profit.
L’obtention d’un fief reste l’obsession principale des courtisans laïcs qui entourent le roi. Ils reçoivent la plupart du temps satisfaction mais ce n’est pas le seul mode de rétribution de leurs conseils ; Henri distribue à son entourage de l’argent, des étoffes, des vêtements, des armes, des chevaux… La présence à la cour de ces hommes d’origine modeste n’est pas sans provoquer quelques commentaires acerbes des courtisans issus de milieux plus aristocratiques. Giraud de Barri – qui descend d’un connétable d’Henri 1 er Beauclerc –, Gautier Map ou encore le chroniqueur Raoul le Noir se plaignent qu’Henri confie des postes importants à « des serfs, des bâtards ou des mercenaires » et choisit les évêques et les abbés parmi ses domestiques, ou encore que la sévérité excessive et les malversations des juges et des sheriffs nouvellement nommés s’expliquent par leurs origines populaires. La corruption des officiers royaux est fustigée par les satiristes et les chroniqueurs, corruption à l’intérieur de la cour mais aussi à l’extérieur. Pierre de Blois se plaint que les juges itinérants, les gardes des forêts ou les sheriffs sont toujours prêts à soutirer de l’argent à leurs administrés et à rendre une justice partiale, favorisant le plus offrant, que personne n’ose se plaindre par crainte de représailles et que les membres de la cour, qui ne cessent de se battre entre eux, sont en revanche très solidaires quand il s’agit de pressurer le bon peuple.
La curia regis telle que l’a façonnée Henri II est un savant dosage de conseillers traditionnels du prince – des barons et de grands dignitaires de l’Église –, d’intellectuels et d’hommes issus de classes jusque-là éloignées du cœur du pouvoir royal – petite noblesse et bourgeoise commerçante. Henri II a, de manière délibérée, tenté de créer un instrument de pouvoir et d’administration « à sa main ». Il nous serait facile, huit siècles plus tard, de voir dans sa démarche l’avant-garde d’un État monarchique moderne, de faire du mari d’Aliénor un homme politique très en avance sur son temps, une sorte de visionnaire politique… la réalité est différente et beaucoup plus simple. Henri est totalement à contre-courant d’une évolution de la société féodale caractérisée par une volonté d’indépendance des pouvoirs locaux à l’intérieur d’une sorte de « cadre moral ». Cette volonté d’indépendance n’est pas le fait des petits
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