Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
l’histoire glorieuse des ducs de Normandie. Wace est rétribué par une prébende à Bayeux. Le poète tombe en disgrâce en 1174 et est remplacé par Benoît de Sainte-Maure, poète célèbre auteur du Roman de Troie, qui termine cette œuvre destinée à replacer les Plantagenêt dans la lignée des ducs normands en privilégiant les ancêtres maternels du roi et en minimisant ses racines angevines. Tout cela bien évidemment afin de justifier les droits d’Henri à la succession au trône anglais.
On trouve également dans le corpus hagiographique des surventes, des chansons composées, sous forme satirique et politique, par ces mêmes troubadours, par ailleurs chantres de la lyrique courtoise du fin’ amor, qui « remercient » en quelque sorte le Prince de ses largesses en mettant leur talent à son service. Très peu de ces sirventes nous sont parvenus et de fait ils n’étaient pas destinés à demeurer dans les anthologies poétiques mais à circuler parmi la population et à impressionner les esprits au bénéfice du roi.
En revanche, la volonté affichée d’Henri et d’Aliénor de légitimer historiquement et au travers d’une légende le pouvoir Plantagenêt a été déterminante dans le développement de ce qu’on appelle la « matière de Bretagne » , contes celtiques et surtout légende arthurienne, avec ses personnages qui font partie de la culture européenne et de notre imaginaire : le roi Arthur, l’enchanteur Merlin, Perceval, Lancelot, la reine Guenièvre, la fée Mélusine, les chevaliers de la Table ronde, etc. Sans les Plantagenêt, la légende arthurienne n’aurait peut-être pas connu la fortune qui est la sienne. Ils lui ont donné les moyens de se développer en encourageant les auteurs, en leur permettant de vivre à la cour ou en leur attribuant un revenu.
Henri subventionne également les amuseurs qui sont très nombreux à la cour et à qui l’on reproche – rien de bien original ! – d’être responsables d’un climat de débauche. « Ces spectacles, fulmine Jean de Salisbury, sont un scandale permanent ! C’est une mode, une fureur. Qu’on excommunie donc une bonne fois tous ces baladins, ces mimes, ces jongleurs, ces acrobates, prestidigitateurs, danseurs et danseuses ! Non contents de contaminer les gens du commun, ils s’introduisent auprès des riches bourgeois et des marchands, des grands et des nobles, sous couleur de représentations qu’ils donnent dans les palais et les châteaux. Ces misérables corrompent tout et la responsabilité en échoit à la cour du roi {40} . » Il semble malgré tout qu’Henri apprécie ces « misérables » puisqu’on trouve notamment trace d’un bouffon nommé Roland qui reçoit du roi une sergenterie dans le Suffolk afin qu’il exécute à chaque Noël, devant le souverain, ses galipettes et ses facéties.
La légende arthurienne a été utilisée politiquement par les Plantagenêt comme le pendant de l’utilisation faite par les Capétiens, également dans le but de fonder leur dynastie sur un socle à la fois historique et chargé de légendes, du mythe de Charlemagne. Apparemment les deux légendes ne sont pas de même nature ; nous savons que Charlemagne a réellement existé et qu’il est même l’une des plus grandes pensées politiques de notre histoire, alors qu’Arthur est un mythe sans autre vérité que celle de l’imaginaire. Rappelons-nous que nous sommes dans la seconde moitié du XIIe siècle et que le couronnement de Charlemagne a eu lieu en l’an 800, près de quatre siècles plus tôt. Le temps a laissé s’installer tout un habillage légendaire autour de l’empereur. Le personnage n’a pas à l’époque l’authenticité historique que nous lui connaissons, au contraire. Et n’oublions pas qu’il y a peu de documents, que le matériel historique auquel nous sommes habitués n’existe pas. L’histoire, longtemps figée dans les monastères, se propage de bouche à oreille avec toutes les déformations que l’on peut imaginer. Charlemagne, personnage authentique, a progressivement glissé vers la légende. Avec le roi Arthur, les Plantagenêt vont tenter d’opérer le mouvement inverse, c’est-à-dire de le faire glisser de la légende à l’authenticité historique.
Le point de départ de la légende arthurienne se situe vers 1138 lorsque le chanoine et maître d’Oxford Geoffroy de Monmouth écrit une Histoire des rois de Bretagne dans laquelle il incorpore des
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