Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine

seigneurs – nous avons vu que les Plantagenêt ont rapidement fait rentrer dans le rang ceux qui avaient profité de la faiblesse du pouvoir royal sous Étienne – mais plutôt des grands féodaux qui disposent souvent de vastes et riches territoires, acceptent de prêter serment d’allégeance pour entrer dans un système féodal qui les protège contre les appétits de féodaux aussi ou plus puissants qu’eux, mais entendent, pour la plupart, rester maîtres chez eux. Ce qui a permis, avec le temps, d’installer une monarchie dans ce qui deviendra la France, est le sentiment du besoin d’une organisation garantissant une forme de paix sociale. D’où la codification du système féodal qui, à l’époque d’Henri et d’Aliénor, a terminé sa phase adolescente et entre dans une forme de maturité.
    Louis VII, lui, est tout à fait en phase avec son siècle. A-t-il réellement compris que l’ancrage de la monarchie en France devait se faire d’abord par une période d’incarnation par le roi d’un pouvoir suprême, temporel, mais qui tire sa légitimité du spirituel et non plus de la force des armes ? Ou bien sont-ce les événements qui l’ont poussé à agir dans un sens qu’il a ensuite légitimé par la pax regis  ? Peu importe ! Le résultat est là. Henri, lui, est dans une dynamique totalement inverse. Il veut installer un pouvoir centralisé qui, seul, lui permettra de gouverner le vaste empire que son ambition a créé. Malheureusement, Aliénor et lui sont sans doute les seuls à partager cette ambition centralisatrice. Il est fort probable qu’ils ont vite compris qu’ils ne pourraient pas compter sur l’appui des barons et c’est sans doute pourquoi ils ont cherché à s’appuyer sur de nouvelles classes. Ce qui leur a coûté financièrement très cher… mais ils disposaient de ressources adéquates. Manifestement, Henri n’est pas un visionnaire, mais plus simplement un homme qui a cherché à se donner les moyens de ses ambitions. Tout en lui est pragmatique, plus guidé par une situation donnée et un tempérament que par une philosophie politique.
    La cour est le cœur du système administratif Plantagenêt, système qui, en raison de l’étendue de l’empire, nécessite des relais. Pour ces relais, on assiste également à un changement d’origine ; Henri va progressivement délaisser les Normands qui avaient assuré ces fonctions au cours des règnes précédents pour s’appuyer là aussi sur des Anglais. L’axe principal de l’empire Plantagenêt est l’axe Normandie-Angleterre, avec ses deux capitales, Rouen et Londres. Sur ces terres le système administratif fonctionne remarquablement bien et les relais du pouvoir sont acceptés par la population. Mais plus on s’éloigne de cet axe en descendant vers le Sud et les terres d’Aliénor plus les officiers d’origine anglaise sont perçus comme des sortes d’envahisseurs, de colonisateurs, représentant un pouvoir central dont les populations se sentent très éloignées. L’autorité du roi d’Angleterre ne sera jamais totale sur les vassaux d’Aliénor. Sans cesse le Plantagenêt devra faire face à des révoltes de toutes sortes dont le rejet de l’« Anglais » est souvent un puissant moteur. Un des moments les plus significatifs de cet état d’esprit est l’assassinat en 1168, par un membre de la famille des Lusignan, du comte Patrick de Salisbury dont le chroniqueur Raoul de Diceto dit qu’il était « chef de l’armée du roi des Anglais en Aquitaine ».
    Lieu du pouvoir, la cour d’Henri II Plantagenêt est également un lieu de propagande. Une des fonctions essentielles des clercs qui entourent le souverain est de légitimer son pouvoir d’un point de vue théorique et historique. « Les intellectuels de cour mettent en œuvre tous les moyens de la culture savante pour affirmer la domination du prince dans l’esprit de ses sujets. Ils encouragent la rédaction de chansons engagées en sa faveur, la réécriture de l’histoire des ducs de Normandie, le récit de faits d’armes contre les Celtes et les musulmans, la diffusion de prophéties sur l’écrasement des ennemis » c’est tout un corpus d’œuvres hagiographiques qui est développé pour lequel le terme de « propagande » est parfaitement justifié. Par exemple, Henri s’attache les services d’un clerc de Jersey, Wace, afin qu’il compose le Roman de Rou, qui est une réécriture en français et en vers de