Aliénor d'Aquitaine : L'Amour, le pouvoir et la haine
prophéties de Merlin dont il est lui-même l’auteur. Mêlant ses propres inventions à des éléments puisés dans la tradition orale celtique et d’anciennes sources historiographiques, il retrace les valeureuses actions guerrières de quatre-vingt-dix-neuf rois de l’île britannique sur deux mille ans d’histoire, faisant remonter la fondation de la dynastie à l’arrivée de Troyens exilés après la destruction de leur ville par les Grecs. « Un tiers de ce livre est occupé par le geste d’Arthur, le fils du roi Uther : il vainc les Saxons et écrase les Pictes et les Scots, avant de conquérir l’Irlande, mais aussi la France, la Scandinavie et l’Islande ; il épouse Guenièvre, une femme de la noblesse romaine, avec laquelle il va donner un faste considérable à la vie de cour ; il est trahi cependant par son neveu Mordred qui la séduit, s’allie aux Saxons et le bat ; blessé, il se retire dans l’île d’Avalon. […] Ainsi constitué, ce corpus de récits et contes connaît un succès inouï : nous conservons deux cent quinze manuscrits médiévaux de l ’Histoire des rois de Bretagne, dont cinquante pour le XIIe siècle, chiffre jamais atteint par aucun autre ouvrage de la période {41} . »
De nombreux auteurs de l’époque se sont emparés de cette légende et s’en sont servis pour créer leurs propres romans dont le plus célèbre est Perceval le Gallois ou le conte du Graal, que Chrétien de Troyes écrit à la cour de Marie de Champagne, fille d’Aliénor et de Louis VII. D’autres exemples de cette littérature nous sont parvenus comme Le Chevalier de l’épée ou Le Livre de Caradoc, se situant tous à l’époque du roi Arthur, ou encore, un des plus importants, le Roman de Brut de Wace – le même Wace à qui Henri commandera une réécriture de l’histoire des ducs de Normandie – qui traduit en langue anglo-normande l’œuvre de Monmouth en y ajoutant quelques éléments dont la célèbre Table ronde {42} . Les historiens s’accordent pour reconnaître que la plupart des auteurs de ces « romans arthuriens » ont été à un moment donné en contact avec le roi d’Angleterre, que celui-ci a véritablement été au centre du développement de la légende. Henri a probablement été déterminant dans la mutation du roi Arthur, réussissant à transformer un personnage de légende en une personnalité historique. Cette métamorphose connaît son apogée quelques mois après la mort d’Henri par l’invention – c’est le terme utilisé par les archéologues pour parler de découverte – de la tombe d’Arthur et Guenièvre. Si l’on en croit Giraud de Barri, qui relate cette invention avec beaucoup de détails, c’est Henri lui-même qui « indiqua, selon les traditions qu’il avait entendues d’un chanteur breton d’histoires, qu’on trouverait le corps enfoui à seize pieds au moins dans un chêne évidé ». Toujours selon Giraud de Barri, les religieux du monastère bénédictin de Glastonbury, sur les fameuses indications d’Henri II, trouvèrent les restes d’un géant touché de dix blessures et d’une femme à tresses blondes. Les circonstances ne laissaient pas beaucoup de place au doute mais, pour faire bonne mesure, on trouva proche des deux corps l’inscription suivante : « Ci-gît le fameux roi Arthur, enseveli avec Guenièvre, sa seconde épouse, dans l’île d’Avalon ». Malheureusement Henri n’a pas assisté à l’événement qui l’aurait sans doute passionné et peut-être même ému en lui rappelant de lointains souvenirs. En effet, Geoffroy de Monmouth avait pour protecteur le tuteur du jeune Henri, Robert de Gloucester, à qui son œuvre est dédiée. Adolescent, le futur roi d’Angleterre a séjourné longtemps auprès de son oncle.
Il n’est pas interdit de penser qu’à ce moment-là il a pu rencontrer l’auteur de l ’Histoire des rois de Bretagne, et que celui-ci a frappé l’imagination du jeune homme en lui contant, le soir, devant une immense cheminée où brûlait le tronc d’un chêne centenaire, l’histoire du roi Arthur et les prophéties de l’enchanteur Merlin. Laissons-nous aller à imaginer que l’intérêt d’Henri à propager la légende arthurienne n’était pas seulement dicté par les « bénéfices politiques » qu’il pouvait en tirer, mais aussi par le souvenir d’un adolescent qui rêvait d’être l’héritier d’Arthur, de devenir à son tour roi de l’île de
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