Amours Celtes sexe et magie
sociologie des peuples celtes, un royaume ne peut être prospère que s’il a à sa tête un roi équilibrateur et distributeur impartial des richesses.
Cependant, Conn a eu le malheur de perdre sa femme qu’il aimait tendrement, et il est accablé par le chagrin. Un jour, il quitte sa forteresse de Tara tout seul et s’en va méditer tristement sur le rivage de Ben Étair. Or, au même moment, les Tuatha Dé Danann, dans leur fameuse « Terre de Promesse », tiennent conseil pour juger l’une des leurs, coupable d’un forfait qui n’est pas précisé, une certaine Bécuna Cneisgel. Le chef des peuples de Dana, Mananann mac Lîr, a fait décider que Bécuna serait exilée de la Terre de Promesse et fait envoyer des messagers pour signifier que « Bécuna Cneisgel ne devait trouver asile dans aucun sidh ». Elle devait se mêler aux hommes d’Irlande afin que la malédiction qu’elle portait sur elle retombât sur eux, « car les Tuatha Dé Danann haïssaient les Fils de Milé (= les Gaëls) parce qu’ils avaient été chassés d’Irlande par eux ».
C’est ainsi que Bécuna, à bord d’un coracle , ce petit bateau recouvert de peaux et particulièrement maniable, traverse la mer et atteint le rivage de Ben Étair. « Elle portait un grand manteau de couleur, avec des bords rouges mêlés d’or, une chemise de satin rouge contre sa blanche peau, des sandales de cuir blanc. Ses cheveux étaient blonds et doux, son œil était gris dans sa tête, ses sourcils noirs, ses genoux petits et ronds, ses pieds tendres et légers. Beau était l’aspect de la fille. » On prend soin de nous dire que Bécuna était amoureuse d’Art, fils du roi Conn, sans l’avoir jamais vu, mais c’est Conn qu’elle rencontre, et celui-ci est ébloui par la beauté de l’étrangère. Alors s’engagent des pourparlers qui débouchent sur un étrange marché : Bécuna accepte les avances de Conn à la condition que son fils Art soit exilé pour un an. Et voici Bécuna concubine du roi suprême d’Irlande.
Mais tout ne va pas pour le mieux. Bécuna est coupable d’une faute et porte sur elle une malédiction qui s’étend au pays tout entier, aggravée par l’injustice que représente l’exil d’Art. Ainsi, pendant une année, « il n’y eut ni blé ni lait en Irlande ». Les druides consultés accusent évidemment Bécuna d’être la responsable de la catastrophe et déclarent que « la délivrance serait possible si le fils d’un couple sans faute était amené à Tara pour y être tué afin que son sang fût mêlé au sol de Tara ». Il s’ensuit une série d’aventures compliquées qui ne résolvent en rien le problème.
C’est curieusement Bécuna elle-même qui, sans le vouloir, va dénouer la situation. Elle place le fils de Conn sous le coup d’un geis : « Je veux que tu ne puisses manger nourriture en Irlande avant d’avoir ramené Delbchaen, la fille de Morgan. » Art demande alors où réside cette fille, et Bécuna lui répond : « Dans une île au milieu de la mer, c’est tout ce que tu peux savoir. » Art part donc à la recherche de Delbchaen et, après de nombreuses aventures fantastiques, il ramène en Irlande cette jeune fille qui représente symboliquement la souveraineté, et il signifie à Bécuna qu’elle doit désormais quitter définitivement le royaume. Triste et désemparée, éternelle maudite, se sachant condamnée à errer sur les mers, Bécuna reprend son coracle et disparaît à jamais tandis que le royaume d’Irlande retrouve sa prospérité (111) .
Il s’agit donc ici d’un amour maléfique où la femme cesse d’être une magicienne pour devenir une « sorcière » de la plus pure tradition populaire. C’est tout juste si on ne la présente pas en train de préparer des breuvages empoisonnés. Autant des femmes comme Morrigane, Morgane, Viviane et même Scatach, Uatach et Aifé étaient des magiciennes de l’amour, autant Bécuna, avec une charge érotique incontestable, est un être qui apporte le malheur et la désolation sur le pays où elle se trouve par le contact sexuel qu’elle peut avoir avec celui qui a la charge du royaume. Et celui-ci n’est pas épargné, bien au contraire, comme le démontre l’un des plus étonnants récits irlandais sur ce sujet, La Mort tragique de Muirchertach , dans un contexte qui marque d’ailleurs la transition entre le druidisme et le christianisme.
Ce texte, contenu dans un manuscrit du XIV e
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