Amours Celtes sexe et magie
la raison de sa hâte. Il répond qu’il vient du Leinster, et il ajoute : « Je n’ai de nouvelles que de la fille de Lugaid, fille de Fergus ; elle s’était éprise d’amour pour Bailé, fils de Buan, et elle venait à sa rencontre quand les guerriers de Leinster l’ont surprise et tuée. Car il était prédit par les druides et les prophètes qu’ils ne se rencontreraient pas dans leur vie, mais qu’ils se rencontreraient après la mort, pour ne jamais se séparer. »
La nouvelle est brutale et inattendue. « Quand Bailé entendit cela, il tomba mort sur la place. On creusa sa tombe, on fit un tertre, on mit dessus une pierre et des jeux funèbres furent donnés par les hommes d’Ulster. Un if poussa dans sa tombe et, au sommet de l’arbre, on voyait la forme et l’aspect de la tête de Bailé. D’où le nom de Grève de Bailé (149) . »
Cependant, l’horrible fantôme s’en va vers le sud « à l’endroit où était la jeune Ailinn et il entra dans sa maison d’été ». On lui demande également qui il est, d’où il vient et quelles nouvelles il apporte. Il répond : « Je n’ai pas de nouvelles qui vaillent d’être rapportées maintenant, sauf que j’ai vu les Ulates donner des jeux funèbres et faire un tertre et dresser une pierre et écrire le nom de Bailé, fils de Buan, héritier royal d’Ulster, mort à côté de la grève de Bailé, comme il venait à la rencontre de la femme bien-aimée à qui il avait donné son amour. Car leur destin n’était pas de se rejoindre l’un l’autre pendant leur vie ni que l’un d’eux ne vît l’autre vivant. » À cette nouvelle, Ailinn tombe mort sur place. « On creusa sa tombe, on fit son tertre, on mit dessus une pierre. Un pommier poussa dans sa tombe et devint un bel arbre au bout de sept années et la forme de la tête d’Ailinn se vit à son sommet. »
Dans ce récit, aucune indication n’est donnée concernant cet « horrible fantôme ». C’est un messager de la mort, semble-t-il, ou plutôt un de ses gelos ou lozengiers si communs dans les poèmes des troubadours, qui guettent les amants et les dénoncent par pure jalousie. Mais c’est aussi le Destin personnifié, à moins qu’il ne soit tout simplement un personnage emblématique représentant la société, celle-ci ne supportant pas l’amour entre deux êtres à moins que cet amour ne débouche sur la procréation, donc sur la pérennité de l’espèce.
En fait, l’Amour, en tant qu’absolu, est dangereux pour la société. Il dérange. À ce propos, Freud dit très justement : « L’amour sexuel est une relation à deux, où un tiers ne saurait qu’être superflu ou jouer un rôle de trouble-fête, alors que la civilisation implique nécessairement des relations entre un grand nombre d’êtres. Au plus fort de l’amour, il ne subsiste aucun intérêt pour le monde ambiant ; les amoureux se suffisent l’un à l’autre, n’ont même pas besoin d’un enfant commun pour être heureux (150) . » C’est évidemment cela qui est intolérable : deux humains qui s’aiment d’un amour total et exclusif se retranchent de la communauté et deviennent par conséquent inutiles .
Le sexe en lui-même n’est pas dangereux. Dans le mariage, il débouche sur la procréation et l’activité permanente dans le but de nourrir une famille. « Les relations libidineuses libres sont par essence antagonistes avec les relations de travail ; seule l’absence d’une satisfaction totale rend possible et soutient l’organisation sociale du travail. […] Quelque riche qu’elle soit, la civilisation dépend d’un travail régulier et méthodique, et aussi d’un report désagréable de la satisfaction. Puisque les instincts primaires sont, par leur nature même, rebelles à un tel report, leur transformation répressive demeure une nécessité pour toute civilisation (151) . » Ailinn et Bailé au doux langage sont des rebelles, comme le sont Tristan et Yseult, et la répression s’abat sur eux par l’action de cet « horrible fantôme ». Ils n’ont pas leur place dans la société et sont donc éliminés.
Mais, en définitive, c’est l’Amour qui triomphe. L’histoire de Bailé au doux langage n’est pas terminée et sa conclusion est non seulement poétique et émouvante, mais singulièrement provocatrice. « Au bout de sept années, les poètes, les prophètes et les visionnaires coupèrent l’if qui était sur la tombe de
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