Amours Celtes sexe et magie
moins évocateur, car ce simple mot équivaut à « soupir, bruissement, tempête, vent rude, nuit d’hiver, cri, lamentation, gémissement ». Cela indique suffisamment l’ambiguïté de celle qui prétend se nommer Sin et son appartenance, sinon au monde féerique du sidh , auquel cas elle serait une femme des tribus de Dana, du moins à celui de l’illusion et de la magie telles que ces deux disciplines sont pratiquées par les sorcières de tous les pays et de toutes les époques.
Muirchertach ne prend pas conscience de la « charge » de ce nom, qu’il n’a d’ailleurs pas le droit de prononcer, s’y étant engagé par serment : ce qui veut dire que fatalement, à un moment ou a un autre, il transgressera l’interdit et tombera dans le piège que lui tend son interlocutrice. Car l’exigence de Sin équivaut à l’interdit mélusinien : « Ne cherche pas à savoir ce que je fais le samedi », ou à celui de Macha : « Ne prononce pas mon nom devant les autres », ce qui peut se traduire par : « Ne cherche pas à savoir qui je suis réellement ». Il est bien évident que Sin est une fée, ou une redoutable magicienne, une de ces images projetées d’une antique divinité fatale de l’époque où la féminité était encore un modèle divin. Et désormais, Muirchertach, roi d’un royaume régi selon des principes androcratiques, pour ne pas dire « paternalistes », se trouve engagé dans un processus qui va le déstabiliser et le conduire à sa néantisation progressive, pris qu’il est dans les rets d’une volonté gynécocratique entièrement à l’opposé de sa nature originelle. Il sera donc le « jouet » de Sin, encore plus que sa victime.
Muirchetach emmène donc Sin dans sa forteresse de Cletech. La fille lui demande ce qu’il va maintenant faire. Il lui répond : « Ce que tu veux », abdiquant ainsi toute volonté et toute liberté. Et Sin ne se prive pas d’occuper le terrain conquis : « Je veux que Duaibsech et ses enfants quittent cette forteresse et que chaque guerrier et chaque artiste d’Irlande viennent avec leurs épouses dans la salle où l’on boit. » Sin en profite d’ailleurs pour exclure de cette assemblée les membres du clan de Niall aux Neuf Otages, le fameux clan des O’Neill, c’est-à-dire ceux qui risqueraient de s’opposer à ses propres décisions, à elle qui se présente comme l’adversaire ou la rivale farouche de cette illustre famille princière qui a longtemps régné sur le nord de l’Irlande.
La femme légitime du roi, Duaibsech, ses enfants et tous ceux qui appartiennent au clan de Niall aux Neuf Otages, sont donc expulsés de la forteresse de Cletech. Mais nous sommes dans une Irlande devenue chrétienne : l’épouse bafouée se précipite au monastère de Tuilen dont l’abbé-évêque (à la mode celtique) est le saint homme Cairnech, à qui elle raconte ce qui s’est passé. Indigné, Cairnech, accompagné de certains de ses moines, se précipite vers Cletech. « Mais Sin ne leur permit pas d’approcher de la forteresse. » Alors l’abbé-évêque agit exactement comme les druides dont il est en fait l’héritier et le continuateur : il creuse une tombe sur la prairie, en face de la forteresse, la destinant explicitement au roi, dans une formule d’exécration de la plus pure tradition magique, aussi bien chrétienne que druidique.
L’incantation qu’il prononce vaut la peine d’être citée :
« En ce tertre, à jamais,
chacun saura que se trouve
la tombe du héros Mac Erca (= fils d’Erc).
Ses actions ne furent pas des moindres.
Malédiction sur cette colline !…
Que son blé et son lait soient mauvais,
qu’elle soit remplie de haine et de mal !…
En ce jour, voici sur ce tertre
la tombe du roi d’Irlande !… »
Il s’agit bien entendu d’une malédiction. Cette « satire », traduction du terme gaélique employé, bien que prononcée par un abbé-évêque, a une résonance païenne incontestable et rappelle les rituels d’exécration de l’ancienne Irlande préchrétienne aussi bien que les cérémonies auxquelles se livraient les prêtres romains sur les frontières menacées par les ennemis de Rome. On est ici en pleine tradition indo-européenne primitive et l’on peut affirmer que l’Irlande chrétienne n’a rien oublié de ses origines lointaines. On ne peut pas non plus oublier que saint Patrick, l’évangélisateur supposé de
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