Amours Celtes sexe et magie
monde ne peut être que Guenièvre.
Le Roi Pêcheur comprend qu’il faut employer les grands moyens s’il veut parvenir à ses fins. Il se souvient de tout ce qu’on raconte au sujet de la reine et de Lancelot et il prend conseil de Brisane, la suivante de sa fille. Cette Brisane est non seulement une suivante, avec tous les honneurs qui lui sont dus, mais elle est, comme souvent en pareil cas, quelque peu magicienne. Elle promet de tout arranger. Elle commence par dire à Lancelot qu’on a aperçu la reine dans une maison isolée, non loin de là, où elle doit passer la nuit. Évidemment, Lancelot ne pense plus qu’à aller rejoindre Guenièvre. Brisane s’offre à le conduire. Mais auparavant, elle a envoyé la fille de Pellès à l’endroit convenu et elle a préparé un breuvage magique qu’elle s’arrange pour faire boire à Lancelot. Celui-ci, complètement égaré par l’enchantement, prend la fille de Pellès pour la reine, passe la nuit avec elle et « il lui manifeste la joie et les égards qu’il réservait à sa dame la reine ». Le destin est maintenant accompli, même si Lancelot, s’apercevant ensuite qu’il a été berné, manifeste une violente colère avant de se rendre à l’évidence, et surtout en comprenant que tout cela entrait dans les desseins de Dieu.
Mais on peut affirmer que si Lancelot s’était trouvé dans un lit aux côtés de la porteuse de Graal sous son aspect réel, il n’aurait jamais pu accomplir l’acte qui lui était demandé. Il serait demeuré impuissant auprès d’une femme, la plus belle et la plus désirable fût-elle, qui n’aurait pas été celle qui non seulement occupait toutes ses pensées, mais constituait également l’unique objet de ses désirs sensuels.
Cet épisode inspiré par la mystique cistercienne, très chrétien dans sa formulation – et dans sa justification –, est évidemment contraire à la morale chrétienne de l’époque, même si elle était malgré tout assez souple : on peut être surpris du fait que la naissance du héros du Graal, le pur et chaste Galaad, soit la conséquence d’une duperie, d’une union sexuelle hors mariage doublée d’un adultère par intention. Heureusement, l’intention sauve l’acte. Le texte prend soin de préciser : « Ainsi sont unis le meilleur et le plus haut chevalier et la plus belle pucelle et du plus haut lignage de ce temps. » Et encore : « De même que Lancelot avait perdu le nom de Galaad par échauffement de luxure, de même ce nom fut restauré par cet enfant grâce à sa continence (72) ». Si l’on comprend bien, le rôle de Roi du Graal était dévolu à l’origine à Lancelot lui-même sous son véritable nom de Galaad.
La motivation de cette « mise en scène » n’est pas sans rappeler la nuit de noces de Tristan avec Yseult aux blanches mains, la fille du roi d’Armorique qu’il vient d’épouser parce qu’elle porte le même nom que celle qu’il aime d’un amour fou et exclusif . Le récit de Thomas d’Angleterre est assez précis sur le sujet sans aborder le problème de fond. Car l’auteur s’étend sur les scrupules de Tristan et sur ses interrogations. C’est de la psychologie de haute volée, et même très subtile, bien dans le ton de la problématique courtoise. En bref, Tristan prend comme prétexte une blessure qu’il a reçue au côté, et qui le fait souffrir, pour ne pas consommer son mariage. Mais la véritable raison est d’ordre physiologique : entièrement pénétré de l’image d’Yseult la blonde, Tristan serait incapable de faire l’amour avec une autre femme. Il se trouve alors dans un état d’impuissance caractérisée, et qui s’explique fort bien tant par la physiologie que par la psychologie.
Car la femme-solaire est contraignante. Dans l’étrange et touffu roman anglo-normand de Perlesvaux , écrit vers 1200 par des clercs sous influence clunisienne, œuvre de propagande chrétienne qui contient cependant de nombreux éléments archaïques hérités du paganisme celtique, on voit Lancelot, parti comme tous les chevaliers d’Arthur à la recherche du Saint-Graal, échouer chez un ermite auprès de qui il se confesse avec beaucoup de sincérité. Il se rend compte alors que c’est son péché d’adultère qui lui interdit la vision du Saint-Graal. L’ermite lui dit que s’il avait vraiment désiré voir le Graal avec la même force qu’il désirait la reine, il l’aurait vu. Lancelot répond
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