Amy, ma fille

Quand elle travaillait, elle semblait moins obnubilée par lui.
    Pendant ce temps, je lui ai trouvé une nouvelle maison à Camden Square, ce quartier qu’elle aimait tant. J’ai déniché l’endroit parfait : une bâtisse du début du dix-neuvième siècle avec jardin. Découpée en six appartements, il allait falloir engager de sérieux travaux pour la réaménager. Elle présentait un énorme potentiel pour Amy qui pourrait y installer une salle de gym, un studio et de nombreuses chambres. Elle m’a donné son feu vert sans même l’avoir vue.
    À son retour de Jamaïque, je l’ai emmenée la visiter. Elle est tombée sous le charme et a immédiatement réfléchi à son aménagement. Le problème, c’est que les travaux prendraient du temps et que le bail de la maison de Hadley Wood allait expirer. Il fallait qu’elle déménage, et vite. Elle possédait toujours son appartement à Jeffrey’s Place mais rechignait à y retourner car cela lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Début mars, sachant qu’elle ne voulait pas s’éloigner du centre de Londres, je lui ai trouvé un charmant appartement à louer à Bryanston Square, dans le West End.
    En plus de ses séances de travail avec Salaam Remi, elle collaborait de nouveau avec Mark Ronson, à Londres. À la mi-mars, Jane et moi avons déjeuné avec elle chez Reubens. J’étais heureux qu’elle se consacre de nouveau à ce qu’elle faisait de mieux. C’était merveilleux de parler de ses projets musicaux plutôt que de ressasser une fois de plus ses problèmes. Les morceaux du futur album progressaient, même si aucun n’était encore finalisé. Comme d’habitude, elle refusait de parler de son travail tant que rien n’était achevé.
    — Tu vas devoir attendre, papa, m’a-t-elle prévenu. Ce que je peux te dire, c’est que j’ai travaillé avec Mark sur un son proche des groupes féminins des années soixante. Ça me plaît toujours. Et puis en Jamaïque, je me suis remise au reggae, et on a un peu bossé autour de ça, avec Salaam.
    Quelques jours après, Amy a tenu à m’emmener faire du shopping chez Selfridges avec elle. Elle n’avait pas bu depuis trois jours et m’a annoncé qu’elle voulait prendre des cours de conduite accélérés. Dieu nous protège ! me suis-je dit. Nos emplettes terminées, j’ai fait quelque chose d’un peu culotté : je savais d’expérience qu’elle n’allait pas porter la moitié de ce qu’elle avait acheté alors, sans qu’elle le sache, j’ai rapporté une partie des affaires au magasin. À une époque, elle ne se serait rendue compte de rien, mais ce jour-là, elle a immédiatement décroché son téléphone.
    — Papa, est-ce que j’ai laissé un sac dans ton taxi hier ? Il me manque des trucs.
    J’ai feint l’ignorance mais elle n’était pas dupe et m’a demandé de la conduire de nouveau au magasin afin de racheter exactement les mêmes vêtements.
    À la fin mars, elle a enregistré une reprise pour l’album-hommage en l’honneur du soixante-quinzième anniversaire de Quincy Jones, Q : Soul Bossa Nostra . Amy avait rencontré Quincy lors du concert pour Mandela. Elle a chanté « It’s My Party », chanson interprétée en 1963 par Lesley Gore, une artiste découverte puis produite par Quincy à l’époque. C’était un grand honneur qu’il ait demandé à Amy de la reprendre. Le dernier jour d’enregistrement, j’ai retrouvé ma fille aux studios Love 4 Music, à Islington, dans le nord de Londres.
    La musique avait retrouvé une place de choix dans son existence, même si ses problèmes n’avaient pas disparu. Quelques jours plus tôt, elle s’était remise à boire avec excès. Raye et moi avions tenté de la raisonner, mais elle ne voulait parler que d’une chose : le fait que Blake soit sous méthadone.
    Quand je suis arrivé aux studios ce jour-là, bonne surprise : Amy était disposée à discuter de ses problèmes. Elle a accepté de prendre rendez-vous à la London Clinic afin de vaincre sa dépendance à l’alcool. Mieux encore : c’était fini avec Blake et elle avait prévu d’aller le lui annoncer à Sheffield.
    Elle est donc partie le lendemain matin, accompagnée par Neville. Elle a passé la nuit là-bas et, à son retour, m’a annoncé que c’était réglé. Blake avait été très affecté et s’était réfugié dans la drogue, malgré les protestations d’Amy. Le point positif, c’était qu’elle n’y avait pas touché, et ça,