Amy, ma fille

était emballée : elle avait toujours aimé ce genre d’établissements. J’avais traîné à lui chercher une nouvelle maison dans l’espoir de la tenir éloignée de Camden le plus longtemps possible, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment forte pour résister à la tentation. J’avais également fréquenté assidûment les réunions des Alcooliques Anonymes et longuement discuté avec ma famille afin de déterminer comment aider Amy.
    La situation avec Blake me rappelait dangereusement la fin de l’année précédente : ils se disputaient sans arrêt, et Amy voulait le forcer à décrocher. À chaque fois qu’elle allait le voir à Sheffield, elle revenait de mauvaise humeur. La presse prétendait qu’ils allaient se remarier et qu’ils avaient repris la drogue.
    Il me fallait donc adopter une nouvelle stratégie : j’allais proposer à Blake une entrevue afin de régler nos différends. Je n’avais aucune envie de faire ça, croyez-moi, mais je n’avais pas envie de perdre Amy. Mes amis s’inquiétaient pour moi : ils trouvaient que je m’épuisais à essayer de résoudre ses différentes addictions (la drogue, l’alcool, Blake), alors qu’en réalité, ce qui me fatiguait vraiment, c’était de savoir ma fille loin de moi. Quand j’étais avec elle, je me sentais capable de déplacer des montagnes. Amy a été ravie d’apprendre que je voulais voir Blake et m’a dit qu’elle se chargeait de convenir d’un rendez-vous, qui, au final, n’a jamais eu lieu.
    Peu après, elle s’est violemment querellée avec lui au téléphone : elle l’a accusé d’être avec une autre fille au moment même où ils se parlaient. Elle était déprimée et avait la gueule de bois, mais elle a décidé d’aller à Sheffield quand même. Je n’étais pas tranquille : est-ce qu’elle allait lui résister ?
    J’ai été réveillé à quatre heures du matin par la sonnerie du téléphone.
    — Mitch ? a demandé quelqu’un au bout du fil. Vous ne me connaissez pas, je m’appelle Danny. Je vous téléphone parce qu’il faut bien que quelqu’un le fasse. Amy a fait une overdose.
    J’étais à moitié endormi et j’ai mis du temps à réagir. Et puis d’un coup, tout s’est bousculé dans ma tête : est-ce que Blake lui avait donné de la drogue ? Est-ce qu’elle avait trop bu et été victime d’une nouvelle attaque ? J’ai prononcé les mots que tous les pères redoutent :
    — Est-ce qu’elle est morte ?
    — Non. Elle est au Royal Oak Hospital, à Paddington.
    Ça n’avait aucun sens : Andrew m’avait appelé un peu plus tôt pour me dire qu’il emmenait Amy à Sheffield. Comment pouvait-elle se trouver dans un hôpital de Londres ? Et puis j’ai réfléchi : il n’existait pas de Royal Oak Hospital à Paddington. C’était sans doute un canular. Ce Danny ignorait qu’Amy était à Sheffield.
    Choqué, j’ai appelé Amy sur son portable. Comme elle ne répondait pas, j’ai composé le numéro d’Andrew, je l’ai réveillé et lui ai dit qu’Amy devait me rappeler immédiatement. Quelques minutes plus tard, je l’avais au bout du fil ; elle m’a assuré que tout allait bien.
    Je ne pouvais pas me rendormir alors je suis descendu et me suis posté devant la fenêtre. Je ne comprenais pas qu’on agisse comme ça. Quel genre de personnes pouvait faire ça ? Les calomnies de la presse étaient déjà difficiles à supporter, sans compter les textos d’insultes et autres saloperies de ce genre. Tout à coup, j’ai eu la nausée et je me suis rué vers les toilettes pour vomir. Quelques heures plus tard, Amy m’a appelé pour me donner de ses nouvelles et prendre des miennes.
    Un soir, de but en blanc, elle m’a avoué que Blake avait sérieusement replongé : elle l’avait vu prendre de l’héroïne chez lui à Sheffield. Pour me rassurer, elle a immédiatement ajouté :
    — Papa, tu sais bien que je ne prendrai plus jamais de drogues dures.
    En effet, je lui faisais confiance sur ce point. Dans l’immédiat, mon plus gros souci était sa consommation d’alcool.
    En février, elle s’est envolée pour la Jamaïque afin de travailler en studio avec Salaam Remi. Son troisième album était encore en chantier. Elle était tellement exigeante avec elle-même que l’écriture des chansons allait prendre du temps, comme pour ses deux disques précédents. Cela me redonnait de l’espoir : peut-être – qui sait ? – allait-elle finir par oublier Blake.