André Breton, quelques aspects de l’écrivain
ancienne, née d'un état de besoin, mais depuis sa naissance obstinément en quête d'un correspondant matériel concret, qu'elle se sent d'avance en droit d'exiger du monde extérieur et en assurance de découvrir malgré ses mécomptes, soit qu'elle le cherche d'abord avec Mesmer du côté du «magnétisme animal» ou avec Goethe sous le nom d'«affinités électives» dans le domaine de la chimie. En tout cas, c'est par rapport à une telle image, qui dans le premier cas reste volontairement ignorée, et dans le second rendue à tout son pouvoir matérialisateur, que paraît se faire le plus clairement le départ entre un psychologue classique comme l'est Racine, et un psychologue tel, par exemple, que Dostoïevski. Avec le premier, c'est bien d'une «anatomie de l'être» seule qu'il est question, d'un mécanisme des passions jouant à l'état pur et comme au banc d'essai d'un vide isolateur. Jamais il n'est question de cet éveil constant de virtualités inconnues que détermine en nous le contact ou l'approche non pas de l'«homme» anonyme, mais de tel ou tel «moi» concret, dont l'expérience de chaque jour pourtant nous montre qu'il est non seulement à jamais singulier, mais encore à un degré plus ou moins élevé particularisant pour toute conscience englobée dans sa sphère d'attraction. L'«homme» du XVII e siècle peut bien nous être connu, certes, jusque dans les replis contournés de ses spirales, il reste que jamais le courant n'y passe pour laisser apparaître tout son cortège de phénomènes induits — jamais rien ne se laisse entrevoir de cette danse sacrée qui s'improvise du contact de deux êtres et dont leur comportement ultérieur ne fera que développer jusqu'à la lassitude des variations — jamais à travers cette monade déifiée, le tout de l'homme, qui est d'être un moi à jamais pris dans le tourbillon magnétique d'un système de «moi» et toujours à quelque degré de «graviter» n'arrive à prendre le moindre caractère de réalité. Par rapport à cette psychologie purement mécanique, Dostoïevski incontestablement se situerait comme l'autre pôle : à peine ouvre-t-on un livre comme Les Possédés (le titre français est plus significatif que le titre russe) que nous nous trouvons jetés au sein d'un monde irradié, traversé, par l'entremise d'un moi exceptionnellement bon conducteur, d'influx et de lignes de force. La figure centrale de Stavroguine s'y montre douée non d'une structure mentale particulièrement différenciée, mais du caractère à la fois impénétrable et fascinant des manifestations électriques : pour la première fois sans doute avec cette netteté (on song e surtout au chapitre capital, point culminant de l'œuvre :«Le tsarévitch Ivan») nous est présenté un être dont laréalité, pourtant plus grande que nature, se réduit expressément à son seul sillage; aux phénomènes de turbulence, de décomposition et de recomposition accélérée qu'il engendre sur son parcours. Par cette allure détachée, qui ne souffre pas de ralentissement, d'« envoyé» d'un autre monde, et du fait qu'il constitue, en dehors de tout motif élucidable, pour tout son entourage et par sa seule présence un élément suffisant de détermination, ce météore de forte taille mérite à tous les sens du mot d'être appelé un mobile.
Le plus spectaculaire de tous ces phénomènes d'induction — et capable de revêtir par moments une ampleur telle qu'on ne risque guère de passer à côté — celui du chef, du meneur de jeu, de l'être pourvu de «mana» a été étudié à de nombreuses reprises, et tout récemment encore par Monnerot. (Les faits sociaux ne sont pas des choses.) Le prestige physique, la séduction personnelle, le ton — et tout cet ensemble de particularités à demi physiques que synthétise de façon très acceptable une expression qui a fait fortune : «grand format» — y jouent un rôle non négligeable — ni les uns ni les autres ne sauraient être tenus pour accessoires dans le cas de Breton, et on l'a souvent signalé. On ne peut cependant s'en tenir là, si l'on veut expliquer un rayonnement qui a trouvé dès le début un adjuvant tout autre que l'ascendant physique dû au seul contact personnel — et il est nécessaire de se rappeler que Breton est avant tout un écrivain, dont l'action par la plume, encore qu'elle n'ait jamais dépassé un cercle assez restreint, a toujours débordé infiniment l'action directe. Ce
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