André Breton, quelques aspects de l’écrivain
magnétisme personnel, c'est surtout en tant qu'écrivain qu'il l'a fait sentir. Or, ce qui se trouve être assez piquant, il s'agit d'un écrivain chez lequel l'affabulation romanesque ne joue aucun rôle, et l'imagination créatrice paraît au moins sérieusement tenue en bride : on peut donc s'attendre, et c'est ce qui fait en partie l'intérêt de ses ouvrages, à ce que les moyens qu'il met en œuvre pour « faire passer le courant» y soient explicités très directement, et puisque, selon l'expression courante, il se «met dans ses livres» à y retrouver plus commodément: dans cette matière fixée qu'est la parole écrite, ce qui se laisse si malaisément déchiffrer dans ces êtres intensément vivants devant lesquels on se sent capable seulement de dire qu'on «tombe sous leur charme».
Avec sa série d'essais sur l'imagination de la matière, M. Gaston Bachelard paraît bien avoir introduit dans le domaine de la critique littéraire un principe d'une fécondité extrême. On ne peut guère douter après lui (son livre sur L'Eau et les Rêves en particulier apparaît en ce sens puissamment démonstratif) que des affinités étroites, dont le caractère organisateur s'affirme chez les natures esthétiquement les plus évoluées, lient certains types d'association imaginative prédominants à une «rêverie matérielle primitive» qui suggérerait «des confidences secrètes» et véhiculerait «des images éclatantes». Le seul reproche qu'on se sent en droit d'adresser à une manière de voir qui projette une si vive lumière sur le processus de sélection des images réellement expressives, «révélatrices» d'une nature d'esprit — en fait vraiment un «système de fidélité poétique» — est de s'être voulue trop vite exhaustive. Il y a peut-être quelque arbitraire en effet à mettre sous la seule dépendance des «quatre éléments fondamentaux» : (l'eau, la terre, le feu, l'air) — tout le mécanisme mental qui préside à la formation des images et des rêves. La «solide constance et la belle monotonie de la matière» dont parle avec justesse M. Bachelard, paraît être le lieu d'élection de la seule rêverie statique, celle qui s'immerge dans un élément et progressivement, pourrait-on dire, s'y enlise pour, à la limite, tendre à y «perdre connaissance». C'est peut-être cette aptitude plus parlante à l'immersion qui fait de l'eau précisément celui des quatre éléments qui jusqu'ici semble avoir permis à M. Bachelard de développer les exemples les plus convaincants. Mais à la rêverie lourde, à la rêverie «engluée» (que Poe symbolise magnifiquement) caractéristique de certaines associations imaginaires, on songe d'instinct que s'oppose un type d'imagination entièrement détaché de l'adhésion à une matière aveugle — celui d'une imagination que l'on se sentirait l'envie (pour revenir à un vocabulaire archaïque qui n'a pas été sans influencer M. Bachelard dans l'énumération exagérément restrictive de ses quatre éléments) de qualifier de volatile. On croit bien pouvoir mettre au défi M. Bachelard, en dépit de l'étonnante subtilité qu'il est capable de mettre dans ses analyses, d'intégrer d'une manière tant soit peu convaincante dans une de ses catégories un type d'imagination comme, par exemple, celui de Rimbaud. Aussi éloigné que possible de toute tendance à l'engluement, et sans qu'on puisse parler cependant d'imagination «formelle 2 » l'enchaînement des images évoque ici plutôt la désinvolture des décharges électriques, la «foudre espiègle» dont parle Cocteau —- un crépitement contagieux de courts-circuits. Ce n'est pas le «cœur noir» de la matière que se propose inconsciemment de rejoindre l'imagination du poète, mais bien plutôt, d'un doigt magique, de toucher cette fourrure électrique impalpable qui vêt les objets comme une pellicule, et de chaque contact imprévu tire le somptueux froissement d'étincelles qui noue la chevelure à la comète. Aussi fondamentale en effet que la classification des quatre éléments, et aussi congénitale à un certain type d'imagination paraît être la notion essentiellement dynamique (nous avons parlé de ces images du «magnétisme animal» et des «affinités électives» qui tendent obstinément à se matérialiser) des transmutations foudroyantes de la matière, de son caractère volatil — aussi profondément ancré au cœur des hommes que le besoin du sommeil hypnotique
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