André Breton, quelques aspects de l’écrivain
versé par ces «fleurs noires» qui fleurissent «dans la nuit de la matière» paraît être l'aspiration (c'était apparemment celle des alchimistes) à suivre dans ses migrations paniques une matière perpétuellement dynamisée, insaisissable autrement qu'en affinités, en attractions, en « correspondances » et en devenir.
De même que l'acte simple de la nommer, de la pourvoir d'un vocable peut éveiller à une vie foisonnante une notion jusque-là réduite à hiberner aveuglément dans l'esprit, de même on ne se défendra pas d'admettre que le développement de nos connaissances scientifiques a pu n'être pas sans influencer grandement des démarches imaginatives jusque-là tâtonnantes, irrésolues — sans, d'une certaine manière, les légitimer — et tel est bien le rôle qu'a joué, au cours du siècle dernier, la découverte de l'importance toute-puissante des phénomènes électriques et magnétiques. Rien n'oblige à croire que les «racines de la force imaginante» que se propose d'exhumer M. Bachelard, plongent toutes uniformément dans le terreau d'une forêt hercynienne plus primitive que le premier homme. Bien au contraire, la rapidité et l'aisance avec lesquelles l'imagination motrice se lance dans les chemins à peine frayés par la science, comme si par légions des impulsions réfrénées en elle n'attendaient que le signal de la voie libre, nous frappe à chaque instant de l'histoire : de même qu'on voit à la fin du XVII e siècle les données de la chimie pourtant à ses débuts ouvrir presque instantanément des débouchés nouveaux à l'imagination motrice, de même de nos jours on peut s'attendre, semble-t-il, à ce que les connaissances nouvelles sur la structure de l'atome, absorbées instantanément par l'imagination comme par un sable altéré, interviennent avec rapidité (le langage populaire en est déjà garant) pour soumettre les associations d'images à de nouvelles attractions causales. Ce n'est qu'au prix de faire craquer le cadre un peu étroit, un peu trop «fixiste», à l'intérieur duquel, comme un Linné de l'imagination matérielle, il distribue ses familles poétiques, que l'on pourra tenter d'utiliser ici les nouveaux principes critiques de M. Bachelard. Plus authentiquement «romantique» encore par ses attaches qu'on ne le croit généralement, le type d'imagination de Breton paraît bien être sous la dépendance de l'un de ces schémas moteurs pour lesquels la science n'a fourni de garants qu'au début du siècle dernier : précisément celui de 1'«induction» — et, d'une manière plus générale, celui du «courant».
Il n'est pas rare — on l'a déjà remarqué — qu'un écrivain, lorsqu'il dispose des qualités de mise au point consciente indispensables, et du don de la formule, mette en évidence au sein même de son œuvre la clé qui sert à l'ouvrir sous la forme significative du titre. Nul doute que Breton, en intitulant son premier ouvrage proprement surréaliste Les Champs magnétiques 3 , nous ait livré beaucoup plus qu'une conception purement contemplative du monde — une dominante imaginative, un schéma moteur inné, vital, qui intervient à chaque instant chez lui pour dynamiser les contacts, substituer au rapprochement l'attirance et au chaos apparent des impulsions le jeu de forces ordonnatrices invisibles. Avec la puissante monotonie d'un leitmotiv, toute l'œuvre, a un bout à l'autre, apparaît traversée de ce thème qui la galvanise, lui injecte l'influx d'un dynamisme singulier.
Il est frappant de remarquer, tout d'abord, comment Breton tente de concrétiser pour nous la plus élevée dans la hiérarchie des sensations pour un artiste, la sensation esthétique. On a la chance de le toucher au cœur. Or, il s'agit toujours pour lui très explicitement de la sensation de «passage du courant», admirablement matérialisée sous la forme de la pâle aigrette lumineuse qui s'échappe de la pointe d'un paratonnerre.
«Daignent tes artères, parcourues de beau sang noir et vibrant» (comme ce sang «vibrant» est déjà magnétisé, et non par hasard, car tout ce qui charrie la vie se charge automatiquement pour le subconscient de Breton d'un influx magnétique. Plus décisivement encore, il dira de la peinture de Picasso : «Un sang fin, magnétique, se dépense d'un bord à l'autre de la ravissante cuve blanche, à peine plus large qu'une main») «me guider longtemps vers tout ce que j'ai à connaître, à aimer,
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