André Breton, quelques aspects de l’écrivain
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«Si l'on recherche la signification originelle de la poésie, aujourd'hui dissimulée sous les mille oripeaux de la société, on constate qu'elle est le véritable souffle de l'homme, la source de toute connaissance 3 et cette connaissance elle-même sous son aspect le plus immaculé. En elle se condense toute la vie spirituelle de l'humanité depuis qu'elle a commencé de prendre conscience de sa nature; en elle palpitent maintenant ses plus hautes créations et, terre à jamais féconde, elle garde perpétuellement en réserve les cristaux incolores et les moissons de demain. Divinité tutélaire aux mille visages, on l'appelle ici amour, là liberté, ailleurs science. Elle demeure omnipotente, bouillonne dans le récit mythique de l'Esquimau, s'étale dans la lettre d'amour, mitraille le peloton d'exécution qui fusille l'ouvrier exhalant un dernier soupir de révolution sociale, donc de liberté, étincelle dans la découverte du savant, défaille, exsangue, jusque dans les plus stupides productions se réclamant d'elle, et son souvenir, éloge qui voudrait être funèbre, perce encore dans les paroles momifiées du prêtre, son assassin, qu'écoute le fidèle la cherchant, aveugle et sourd, dans le tombeau du dogme, où elle n'est plus que fallacieuse poussière.» (Le Déshonneur des poètes.)
Les sentiments antireligieux déclarés de Benjamin Péret ne sont un secret pour personne, et n'autorisent aucunement à soupçonner ici un flottement du vocabulaire. On n'a pas le droit, par conséquent, de se méprendre à une profession de foi si formelle. Malgré le trompe-l'œil de la déclamation antireligieuse forcenée, il ne s'agit clairement ici que d'une querelle de secte : ce qui s'est retiré à jamais du «tombeau du dogme» et de sa «fallacieuse poussière» ne l'a fait que pour se fixer immédiatement ailleurs : la poésie est devenue pour le surréalisme objet de culte.
Nous pouvons comprendre le sens que comporte cette valorisation insolite de la poésie, deviner pour quelle raison les surréalistes étendent son domaine (le texte de Péret est là-dessus des plus explicites) au-delà de toutes les limites qu'on lui assigne d'ordinaire. Le culte de la poésie s'est renforcé en eux dans la proportion exacte où elle leur est apparue, de plus en plus clairement, comme un moyen de sortie, un outil propre à briser idéalement certaines limites. Dans la mesure même où elle s'identifie pour lui à un «esprit d'aventure au-delà de toutes les aventures», Breton est perpétuellement tenté d'en déceler le surgissement partout où s'ouvrent pour lui les failles par lesquelles on peut espérer d'échapper à l'humaine condition. Elle triomphe dans la folie (L'Immaculée Conception), étincelle dans le «hasard objectif», dans la «trouvaille» — brille de tous ses feux dans «l'amour fou», comme dans toute entreprise de libération de l'homme. (Monnerot indique avec justesse que, de manière obscure, pour les surréalistes, la poésie «communique» avec la révolution). Ce que Breton en vient finalement à baptiser «poésie», c'est tout fil d'Ariane dont un bout traîne à portée de sa main et promet de l'aider à sortir du labyrinthe. Est poésie tout ce qui «bouleverse», tout ce qui «ravit», du poème exaltant au «fait-glissade» et au «fait-précipice», en passant par la méthode «paranoïaque-critique» et lagrande hystérie — irrémédiablement prose au contraire tout ce qui fait qu'on «y est» toujours. Libérée par cet angle de vision insolite de toutes ses attaches traditionnelles avec des problèmes d'expression verbale et de perfection formelle, la poésie, soudain bizarrement aventurée aux confins de préoccupations d'ordre proprement mystique est l' état de grâce, mérité par une certaine manière de vivre, qui vient sublimer et transfigurer lavolonté d'arrachement à la condition humaine. Dans le dictionnaire occulte du surréalisme, son nom véritable, c'est : libération.
Nous fermerons ici cette longue et nécessaire parenthèse, et reviendrons à cette «quête» anxieuse en laquelle nous avons cru voir se définir le meilleur de l'activité de Breton. Il est possible maintenant de lever une équivoque gênante. Les attaques les plus virulentes qu'on a dirigées contre Breton ont presque toujours visé essentiellement, à défaut de sa légitimité, le sérieux de son entreprise. De ce que cette magnification perpétuelle de la poésie
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