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André Breton, quelques aspects de l’écrivain

André Breton, quelques aspects de l’écrivain

Titel: André Breton, quelques aspects de l’écrivain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Julien Gracq
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(reconnue ou tournée en dérision, mais presque toujours subie) que son personnage exerce, et que ne peuvent justifier et de bien loin — il faut aujourd'hui le reconnaître — les conquêtes mal assurées et sans cesse remises en question auxquelles a abouti son mouvement. Il n'y a pas de preuves du bien-fondé du surréalisme — il n'y en aura peut-être jamais — et pourtant la démarche de Breton, qui n'a jamais entendu se faire croire que sur parole, laisse derrière elle un appel d'air auquel on ne reste pas insensible, et pourtant il n'est pas d'aiguille un peu aimantée qui ne se soit sentie, ne fût-ce qu'un instant, désorientée à la traversée de ses champs magnétiques. Et à y bien regarder ne serait-ce pas dans la création d'un champ magnétique de ce genre que résiderait le critère le plus sûr pour déceler l'approche d'un mythe encore à l'état naissant?
    Par rapport aux grandes images que vise à nous donner de l'homme l'art de notre temps, celle qu'il aura tendu à incarner demeure singulièrement à l'écart et frappe par son caractère irréductible. Dans le thème autrefois badin du «Voyage autour de ma chambre» devenu irrémédiablement pour elle un «voyage autour de ma cellule», notre époque tend de plus en plus à enclore son tragique amer et quasi désespéré. Pour la plupart des écrivains contemporains, le postulat initial de leur œuvre est une acceptation inconditionnelle du sens irrémédiable de cette réclusion. Le problème de la prison, qui se concrétise de façon répétée dans des œuvres aussi diverses que celles de Malraux, de Sartre ou de Camus, apparaît pour tous comme un remarquable point de convergence, et laisserait à lui seul deviner que la question centrale qui se pose à de tels écrivains (Comment vivre en prison ?) ne peut manquer de le faire pour eux avant tout en termes d'éthique. Breton représente clairement en regard — fût-ce contre toute espérance — fût-ce contre toute apparence — fût-ce en dépit de l'irréfutable — la négation inconditionnelle et acharnée de cette geôle, le refus catégorique d'en prendre jamais son parti 4 . Ce heurt obstiné du front contre un obstacle brisant, cette attitude de «forçat intraitable, sur lequel se referme toujours le bagne», de défi perpétuel — cent fois et victorieusement relevé, il faut bien le dire — d'espoir au-delà de tout espoir — ce «qui sait?» injustifiable opposé passionnément aux ricanements jaunes de tout ce qui se résigne — cette volonté en dépit de l'absurde acharnée à explorer toutes les chances — même les plus douteuses — même la plus obscure de toutes, cette «perle noire» — de la mort en laquelle il avoue mettre un « suprême espoir de conjuration» — tout un mouvement complexe en nous où les arguments raisonnables s'enfièvrent du plus indiscutable ressentiment, proteste contre elle par l'accusation de folie. Breton ne l'ignore pas, qui se sent le besoin de se rassurer contre lui-même dans le Manifeste :  
     
    «Ce n'est pas la folie qui nous forcera à mettre en berne le drapeau de l'imagination... Il fallait que Colomb partît avec des fous pour découvrir l'Amérique. Et voyez comme cette folie a pris corps, et durée.»
    Et cependant nous ne pouvons nous défendre de penser qu'une des crêtes les plus hautes de la vie est venue battre et reviendra longtemps battre avec lui contre ce mur d'enceinte 5 . Des figures très anciennes, parmi lesquelles celle d'Icare, viennent le rejoindre à ces confins extrêmes et solitaires qu'il revisite obstinément — figures qui symbolisent pour l'homme tout ce qu'il a pu conjurer en lui-même de plus grande force de défi — et au vent de ces pages brûlantes qu'il entend de toutes ses forces rassemblées maintenir jusqu'au bout battantes comme une porte passera longtemps ce souffle de libération contagieuse qui vient d'aussi loin que l'homme qui a traversé Breton, et dont nous serions nombreux à notre tour à souhaiter dire de sa fin qu'elle est «le commencement du nôtre».  

D'UNE CERTAINE MANIÈRE DE «POSER LA VOIX»
     
    Le problème du style pourrait se poser, semble-t-il, en termes clairs pour l'écrivain comme celui d'un écartèlement continuel entre deux exigences, probablement impossibles à satisfaire simultanément — et desquelles on s'obstine depuis trop longtemps, prolongeant par là un malentendu, à mettre en évidence uniquement la première — exigences qui sont

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