André Breton, quelques aspects de l’écrivain
s'offrait comme un des caractères les plus ostensibles de la nouvelle école, on a trop légèrement voulu conclure que le surréalisme se condamnait à rester pur bavardage littéraire, élusion des problèmes vitaux à travers un charlatanisme verbal de mauvais aloi. Une disparité choquante semblait se faire jour entre l'énormité des objectifs visés (changer la vie!) et les moyens apparemment dérisoires mis en œuvre pour les atteindre — le « rayon invisible » braqué par Breton pour pulvériser ses adversaires se résolvant en dernière analyse (il l'avouait lui-même) à la seule poésie — dont on prétendait savoir de reste ce que vaut l'aune : fumée, mirage et perpétuelle illusion. Les furieuses dénégations opposées par les surréalistes à leurs adversaires, leurs efforts désespérés pour «s'en faire accroire» qui passaient tout naturellement, prolongeant le malentendu, pour la publicité la plus adroite — les retentissants «manifestes» — les professions de foi au ton sacramentel — les excommunications majeures — les voies de fait — ne firent qu'envenimer en réponse un débat dont il s'avère que, dans la mesure où la bonne foi de la partie adverse n'était pas en cause, il ressemblait fort à un dialogue de sourds. Il serait certes très nécessaire pour la clarté des débats en cours de tenter de préciser, après un demi-siècle de recherches et de controverses, le contenu au moins approximatif qu'on entend donner à ce mot de poésie pour lequel on a rompu tant de lances et noué tant de malentendus. Mais ce que nous avons cru discerner du sens attribué par eux à ce mot clé suffit à laver entièrement Breton et ses disciples de l'accusation de manque de sérieux. Pour avoir choisi la poésie comme leur arme secrète et leur «rayon invisible», il ne s'ensuit pas et de bien loin, qu'ils aient entendu dérisoirement escamoter les difficultés de leur route sous une de ces effusions d'encre pâteuses par où une certaine «poésie» en effet — la poésie qui s'écrit et s'en tient quitte — la poésie à-nous-deux-toi-qui-consoles — s'était toujours déclarée aux applaudissements de son public de cirque, en mesure de «tout arranger». Elle n'était pas pour eux le voile plus ou moins diaphane qu'on jette sur les «misères de la vie», mais au contraire dévoilement brutal du cœur de l'être. C'est pour son coefficient de dilatation sans égal que la révérèrent les surréalistes : dans les galeries de mine qu'ils ont tenté de forer en tous sens pour sortir de leur geôle, elle a joué pour eux le rôle du plus brisant des explosifs.
On s'est plaint parfois de l'incapacité de notre époque à renouveler le trésor des mythes que nous ont légués les âges passés, et il n'est guère de jour où les critiques ne soupirent après la naissance de ce mythe moderne que notre temps mérite et que ses écrivains, ses poètes ne paraissent pas jusqu'ici en mesure de lui donner. Si constamment déçu apparaît en effet cet espoir que l'on finit par se demander si les mécontents ne frappent pas à la mauvaise porte. Peut-être les œillères que nous pose une tradition littéraire invétérée nous aveuglent-elles, et ne savons-nous pas encore penser notre époque selon les normes nouvelles qu'elle est en passe de se forger. Les grands mythes du passé sont venus à nous sous la forme de transpositions romanesques ou tragiques, qui tendaient invariablement à conférer à un héros imaginaire le fardeau d'une signification trop riche, trop débordante pour ne pas être gênée par les contours exclusifs d'un être de chair. Il faut prendre garde qu'au contraire notre époque, malgré l'incroyable prolifération apparente du genre romanesque, se caractérise essentiellement par le retrait de la délégation de pouvoirs libéralement accordée jusque-là aux êtres imaginaires pour éprouver et signifier à notre place. Notre époque qui persiste, selon le mot de Breton, à «réclamer les noms», est peut-être destinée en conséquence à réaliser un nouvel avatar du mythe qui pourrait bien être son incarnation. L'intérêt insolite accordé par les lecteurs comme par les critiques depuis quelques décades à la personne des écrivains, aux dépens parfois de la signification générale de leurs œuvres, bien loin d'être la marque d'une pure indiscrétion, semble manifester une exigence perpétuelle de transcendance — signifier le désir qu'on leur
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