Antidote à l'avarice
maintenant du côté des voyageurs. Bientôt, les agresseurs ne furent plus que quatre à pouvoir encore se battre. Comme un seul homme, ceux qui pouvaient encore courir s’enfuirent. Le troisième garde courut derrière eux, en rattrapa deux, et laissa partir les autres. Le reste des défenseurs épuisés se consacraient à leurs blessures.
Andreu regarda autour de lui, un peu étourdi, lâcha son épée brisée et ramassa le bâton d’Isaac.
— Du fond de mon cœur, mon bon seigneur, dit-il au cuisinier, je vous dois la vie. Il eût été dommage de la perdre pour une telle bande de ruffians.
— Nous ne jouirions plus de vos joyeuses chansons s’ils vous avaient tué, répondit le cuisinier. Cela ne pouvait être.
D’un commun accord, les défenseurs se retirèrent du champ de bataille et revinrent vers les chariots et les feux, récupérant leurs compagnons au passage. Derrière le tronc d’arbre, le patient d’Isaac, preuve éclatante de l’efficacité de ses potions, dormait toujours. Des mains volontaires soulevèrent sa litière et la remirent au frais sous le chêne.
Raquel et Judith baignaient et pansaient les blessures. En silence, le cuisinier mit en perce un tonnelet du meilleur vin de l’évêque, et tout le groupe fêta joyeusement la victoire. Car il n’y avait pas seulement des triomphes individuels à célébrer, mais aussi un public – les femmes, le médecin et les enfants qui avaient été tenus à l’écart de la bataille – désireux d’entendre chanter la valeur des gardes, la bravoure d’Andreu, les talents inattendus de Felip, les dons étonnants de Yusuf et l’extraordinaire prestation des cuisiniers.
Naomi et Ibrahim apportèrent leurs gamelles et, bien qu’il fût encore tôt, tous découvrirent qu’ils étaient affamés. Ils mangèrent ensemble avec un mépris certain pour les manières, les convenances et tout le reste. Même si le riz était un peu trop cuit, ils n’avaient jamais fait de repas aussi délicieux. Et jamais triomphe n’avait eu si suave parfum.
Seuls les gardes étaient absents. Ils retrouvèrent leurs camarades, l’un étourdi, l’autre blessé au tout début de l’attaque. Dès que leurs plaies furent pansées, ceux qui le purent revinrent sur le champ de bataille. Cinq brigands gisaient à terre, vivants, mais impotents ; deux autres étaient ligotés à un arbre.
— Qu’est-ce qu’on va faire d’eux ? demanda Enrique, le cadet des gardes, quand il vit les victimes.
Trois d’entre eux avaient reçu de terribles coups de la part des cuisiniers ; ils étaient inconscients et le resteraient certainement. Les deux qui avaient la jambe brisée juraient et gémissaient sans pouvoir bouger. Les autres s’étaient enfuis pendant la bataille.
— Pour ces trois-là, il n’y a rien à faire. Ils vont mourir. On devrait pendre les autres, dit le capitaine.
— Je ne crois pas que nos ayons assez de corde, remarqua le sergent, pragmatique. De la corde à gaspiller, je veux dire. On n’était pas censés pendre quatre personnes.
— Dans ce cas, prenez votre couteau. Mon bras droit ne m’est pas d’un grand usage, sinon je m’en serais chargé moi-même.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, le rassura le sergent. À nous deux, on va s’en débarrasser.
— On n’a pas envie de savoir pourquoi ils nous ont attaqués ? demanda Enrique.
— Cela me semble assez clair, lui répondit son capitaine.
Il donna un coup de pied dans l’un des prisonniers.
— Toi, pourquoi tu nous as attaqués ?
— On nous a dit de le faire. Qu’est-ce que vous croyez ? Il y a tout plein de richesses dans ces chariots.
— C’est bien ce que je pensais, fit le capitaine.
— On voulait aussi la sœur, celle qui est importante, ajouta-t-il obligeamment.
— Importante ? De qui veut-il parler ? s’étonna le sergent.
Ils réfléchirent. Elicsenda, grande et mince, et surtout abbesse ? La grosse Marta ? Ou Agnete, avec ses larges épaules ? Toutes étaient « importantes », à des titres différents.
— Qui la voulait ? demanda le capitaine.
— J’en sais rien. C’est pas mes affaires. En tout cas, il avait passé un accord avec Mario. Il se faisait payer, et nous on prenait le contenu des chariots. Ils ont jamais dit qu’il y aurait une armée pour les garder.
— Peu importe. Cela me suffit. Hâtez-vous, dit-il aux deux gardes, avant qu’ils ne soient trop soûls pour faire le reste du
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