Antidote à l'avarice
que juché sur l’animal entêté.
— Qu’est-ce qu’on va faire ? demanda le marmiton dont la voix tremblait un peu.
— Allez, haut les cœurs ! s’écria Andreu. Nous pouvons dormir dans un champ. Nous l’avons fait souvent, Felip et moi, pas vrai ?
— Certainement, dit Felip avec gravité. C’est une chose fort agréable, à moins qu’il ne pleuve, bien entendu. Ou que les lions ne sortent de la forêt.
— Des lions ?
— Oh, de tout petits seulement. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
— Il y a des auberges, intervint le confesseur, méfiant à l’égard des jeunes gens.
— Pleines de coupe-jarrets, dit Andreu. S’il ne pleut pas, je préfère les champs et les bêtes sauvages aux auberges de cette route.
— Cessez de l’effrayer ! dit Raquel d’un ton sec.
Les deux musiciens s’inclinèrent, lui sourirent et se mirent à jouer un air entraînant. Un nuage de poussière s’élevait sur la route, devant eux, et le sergent en émergea.
Le capitaine l’écouta et demanda que l’on fît halte.
— Si vous regardez droit devant, expliqua-t-il, vous verrez le sommet d’une montagne. C’est là que se situe Barcelone. Nous ne pouvons l’atteindre ce soir, mais il y a deux auberges dans un village à moins d’une lieue d’ici. Nous serons à Barcelone à temps pour le dîner de demain. Maintenant, allons-y, le plus rapidement possible.
Il avait l’air extrêmement las.
Il approcha son cheval du chariot qui transportait le jeune homme.
— Alors, messire le médecin, comment va votre patient ?
— Il ne va pas plus mal. Et cela augure bien de sa guérison. C’est plutôt vous qui m’inquiétez, capitaine. Vous devriez être dans ce chariot, à vous reposer.
— J’aurai bien le temps demain, répliqua le capitaine avant de poursuivre sa tournée.
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE PREMIER
Barcelone
Berenguer de Cruilles et ses deux prêtres arrivèrent en tout début d’après-midi au palais épiscopal, salis par le voyage, épuisés par le soleil et l’effort. Ils furent conduits dans le cabinet de Francesc Ruffach, vicaire général de Barcelone. Comme toujours, l’évêque, Miquel de Riçoma, se trouvait en Avignon, en congé permanent de son diocèse.
Ruffach vint les accueillir.
— Votre Excellence, c’est un plaisir très inattendu. Je suis enchanté, dit-il avec plus de politesse que de sincérité. Êtes-vous en route pour Tarragone accompagné d’une escorte ? Nous devons…
— Mon cher Ruffach, ne soyez pas décontenancé, lui répondit Berenguer. Nous nous rendons effectivement au conseil, mais aucune escorte d’importance ne nous attend dans la rue. Pas encore, tout au moins. Nous trois sommes venus en avance, et les autres arriveront plus tard. Je ne les attends pas avant la tombée de la nuit.
Ruffach agita une petite cloche.
— Dès que vous aurez eu la possibilité de vous débarrasser de la poussière du voyage, Votre Excellence, et de vous reposer, nous serions ravis si vous partagiez avec nous un dîner frugal.
— Bernat doit d’abord adresser une courte missive à Sa Majesté, ensuite nous nous préparerons pour dîner.
— Votre Excellence ? demanda Bernat.
— Informez Sa Majesté de notre arrivée et demandez-lui une audience de ma part pour demain.
— Pourquoi attendre demain, Votre Excellence ? dit Francesc Monterranes. Nous avons peu de temps. Sa Majesté aura peut-être quelques instants à vous consacrer dans la soirée.
— Parce que, lors de l’audience avec Sa Majesté, je veux être en mesure de lui assurer que Sor Agnete se trouve bien à Sant Pere de les Puelles.
Don Pedro, comte de Barcelone et roi d’Aragon, écouta la requête de Berenguer et adressa un signe de tête à son secrétaire.
— Dites à Son Excellence que nous la recevrons demain. Non, qu’elle attende. Samedi, à midi. Et qu’elle amène notre pupille, le jeune Yusuf, s’il voyage avec elle.
— L’évêque de Gérone est un sage et loyal ami… et sujet, fit remarquer Doña Eleanor, la reine, après que les portes se furent refermées sur le secrétaire.
— Qui peut se montrer lent à obéir quand l’humeur l’en prend. Cela fait près d’un an que nous lui avons ordonné de nous livrer cette sœur du couvent de Sant Daniel. Il lui a fallu jusqu’à aujourd’hui. Si elle est avec lui. Un sujet loyal ne se comporte pas ainsi.
— Mon pauvre père, qui n’avait pas votre expérience dans ce genre
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