Antidote à l'avarice
aller voir ce qui se passe là-bas.
— Et le mien, ajouta son aide d’un air laconique.
Le garçon partit en courant.
Il revint porteur de deux bâtons longs et lourds.
— Garde un œil sur le feu et ne laisse pas le riz coller.
Les deux cuisiniers se saisirent de leurs bâtons comme s’il s’agissait de fétus de paille et s’avancèrent vers la lisière du bois avec autant de légèreté qu’un couple de danseurs. C’est que leurs cuisses étaient musclées, et qu’ils avaient des bras et des épaules à faire envie à un lutteur. Chaque jour, ils luttaient, non contre des hommes, mais contre de lourdes marmites, des sacs de farine, des barriques pleines d’huile ou de vin. Chacun d’eux pouvait porter un mouton aussi facilement qu’un chaton ou lancer un quintal de riz comme si c’était une balle d’enfant. Sans un bruit, l’air parfaitement détaché, ils firent irruption sur le champ de bataille.
Les deux hommes armés de longs couteaux qui s’étaient attaqués aux religieuses avaient dû mal comprendre les ordres qui leur avaient été donnés, car ils s’étaient emparés non pas de la riche et puissante abbesse ni de la convoitée Sor Agnete, mais de Sor Marta. Surpris par les cris de leur confesseur, ils l’avaient relâchée, s’étaient jetés dans le combat où ils avaient aussitôt rencontré une farouche opposition. Le garde s’était prestement débarrassé de l’un d’eux : il l’avait tailladé au bras et désarmé, avait posé le pied sur son couteau, l’avait jeté à terre et s’était tourné vers le second assaillant. Ce ne fut pas nécessaire. Celui-ci avait également perdu son couteau, et il subissait les coups rapides que le confesseur lui assenait avec une lourde bûche. Le dernier coup s’abattit sur son poignet et le projeta en arrière.
Du coin de l’œil, le garde vit Sor Agnete grimper la colline et fuir vers la liberté. Mais le second assaillant se tenait le poignet en hurlant de douleur. Le garde lui donna un coup de pied pour l’inciter à rester à terre, puis il tendit au prêtre son propre poignard.
— Ramassez l’autre couteau et veillez sur eux, lui dit-il.
Il s’élança derrière la sœur pécheresse. C’était un jeune homme bien entraîné. Empêtrée par sa tenue, elle s’essouffla. Il la rattrapa facilement et la ramena à l’abbesse, furieuse, et à Sor Marta, indignée.
Le blessé tombé à terre avait disparu. Le garde haussa les épaules, confia au prêtre les religieuses et l’homme au poignet cassé, puis s’en alla – contrairement aux ordres reçus – aider les autres.
Quand il arriva, deux gardes, deux musiciens, un jeune garçon et deux cuisiniers enragés, armés en tout et pour tout de quatre épées, une lance et deux bâtons, étaient venus à bout de plus d’une douzaine de bandits armés. Les cuisiniers avaient trouvé Andreu et Felip encerclés. Le capitaine avait au bras une blessure qui saignait abondamment, et Felip avait été entaillé à la hauteur du mollet et non loin du poignet. Andreu avait échangé le bâton d’Isaac contre l’épée d’un de leurs agresseurs, qui s’était brisée, le laissant désarmé au milieu du combat.
Blessé, essoufflé, le capitaine avait titubé et relâché sa garde ; son attaquant se préparait à lui porter un coup fatal. Yusuf avait tenté de se servir à nouveau de sa lance ; il avait raté sa cible, mais cela avait tout de même désemparé son adversaire. Le capitaine en avait profité pour s’esquiver, et l’épée de son ennemi n’avait rencontré que l’air printanier. L’homme s’était retourné, furieux, pour affronter cette nouvelle menace, et il n’avait vu qu’un enfant étalé sur le sol.
Au même moment, quelqu’un avait levé son épée pour pourfendre Andreu.
Le cuisinier arriva en poussant un beuglement, et le premier coup porté par son bâton rencontra la nuque de l’individu qui s’apprêtait à embrocher Andreu. Il tomba comme une pierre. Le deuxième coup trouva un bras, et le craquement de l’os se fit entendre malgré le tumulte général.
Son aide, homme méthodique, s’en prenait aux jambes. Son premier coup écrasa le genou de l’adversaire du capitaine, qui s’effondra en hurlant. Le deuxième fut réservé à sa tête, ce qui mit un terme à ses hurlements. Le troisième rencontra un tibia, et un autre combattant s’étala dans l’herbe. Le vent avait tourné et la chance était
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