Antidote à l'avarice
de choses, disait souvent que seul un sot fait confiance à un homme au passé chargé de méfaits, mais qu’un sage peut aussi se défier d’un homme trop vertueux. Le premier vous trahit pour le profit, le second pour prouver sa droiture. Prenez le cas de Don Vidal de Blanes. Un homme admirable, dit-elle très vite. Et digne de confiance. Il préconisera toujours – contre le monde entier, si besoin est – qu’il faut faire ce qui est juste, quelles qu’en soient les conséquences.
— C’est un homme dont la vertu et les nobles principes ne sauraient être remis en question, railla Don Pedro.
— J’ai observé que Berenguer préfère rechercher le compromis pour préserver la paix dans son diocèse, et que cela va bien souvent dans le sens des intérêts de Votre Majesté. Don Vidal établirait une paix durable entre deux voisins querelleurs en les faisant pendre tous deux.
— D’où vous vient cette sagesse politique ? dit en riant Don Pedro.
— La cour de mon père, à Palerme, était une excellente école, Votre Majesté. Grouillante à souhait d’intrigues et de complots. J’ai appris très tôt à faire la différence entre le vautour et l’oiseau chanteur.
— Don Vidal était une petite concession faite à Sa Sainteté le pape, dit le roi. Et aussi un moyen de rappeler à Don Berenguer d’améliorer ses manières.
— Sa Sainteté n’est pas d’un abord plus facile malgré toutes les concessions qu’on lui a faites.
— Mais la vertu inébranlable de Don Vidal refusera également de se plier devant Avignon, surtout en matière de politique. Souhaitons ne pas nous trouver assez longtemps hors de nos frontières pour que les choses empirent.
— Tant que je serai avec Votre Majesté, peu me chaut le temps que nous pourrons passer en mer, murmura la reine en baissant les yeux.
Il sourit avec indulgence en la voyant ainsi soumise.
— Mais vous avez raison à propos de Berenguer de Cruilles, reprit-il avec effusion. Nous exercerons une certaine pression sur l’archevêque de Tarragone et arracherons l’évêque de Gérone à la position inconfortable qui est la sienne aujourd’hui.
— Don Sancho est un homme raisonnable, n’est-ce pas, Votre Majesté ?
— Pour un archevêque, oui.
Bernat apporta à Berenguer la réponse de Sa Majesté.
— Eh bien, s’impatienta l’évêque, va-t-elle me recevoir ? Ou toute cette diversion n’a-t-elle été qu’une perte de temps et d’énergie ?
— Certainement pas, dit Francesc Monterranes. Nous avons peut-être sauvé la vie d’un jeune homme.
— C’est possible. Mais que dit Sa Majesté ?
— Qu’elle sera enchantée de vous recevoir samedi à midi.
— Samedi, répéta Berenguer. J’avais espéré demain et craint dimanche soir. Elle souhaite seulement me donner le temps de réfléchir, et non me causer beaucoup de dérangement.
— Sa Majesté ne se soucie certainement pas de détails aussi infimes que nos projets de voyage… dit Bernat.
— Sa Majesté se préoccupe toujours des détails. C’est pourquoi c’est un grand seigneur à qui tout a réussi.
Le jour suivant, bien avant que le soleil ne fût au zénith, le reste des voyageurs – sales, dépenaillés et de mauvaise humeur – arriva à Barcelone. Ils avaient passé la nuit dans des chambres petites, crasseuses et bondées ; leur conversation sur la route menant à la ville tourna sans cesse autour de la même question : quelle auberge était la pire et quel groupe avait le moins bien dormi. Le capitaine et ses officiers avaient veillé toute la nuit et chevauchaient à présent dans un silence pesant.
Les religieuses partirent les premières. Elles furent cordialement accueillies à Sant Pere de les Puelles, couvent bénéficiant du calme relatif des faubourgs. Le reste de la troupe reprit la route principale en direction de la ville.
Une fois franchies les portes de Barcelone, Felip et Andreu murmurèrent leurs adieux au capitaine et se fondirent dans la foule. Isaac, sa famille, ses domestiques, mais aussi le malade, furent conduits à la porte du Call, où deux palefreniers furent chargés de porter Gilabert vers la maison de Mordecai et de son épouse. Le capitaine conduisit alors sa troupe grandement réduite vers la cathédrale.
La maison de Mordecai ben Issach était spacieuse, son garde-manger et son cellier bien remplis. Son épouse enjouée et lui-même étaient hospitaliers et généreux : pour
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