Antidote à l'avarice
eut un murmure de sympathie, mais aussi des regards un peu perdus de la part de ceux qui ignoraient complètement de quoi l’on parlait. Un des chanoines de la cathédrale détourna alors son attention du plat de mouton posé devant lui.
— Ils sont partout. Il semble malheureux que les routes qui mènent à la ville soient si mal gardées que des bandits venus des collines puissent se sentir libres d’attaquer d’honnêtes chrétiens.
— Voyager est toujours risqué. Vous, messire, dit Gonsalvo à Berenguer, vous avez beaucoup voyagé et vous êtes conscient de ce danger. Quand j’ai quitté ma finca , j’ai pris soin d’emmener trois rudes gaillards avec moi en plus de mes serviteurs.
— On ne pouvait s’attendre qu’un groupe aussi important que le nôtre soit assailli par des ruffians armés, répliqua Francesc, sur la défensive.
— Je suis heureux de dire, précisa Berenguer, que tous ceux de mon escorte, de ce jeune garçon aux gardes en passant par mon cuisinier, se sont défendus avec bravoure et talent. Mais quel était le but de ce périlleux voyage, messire ? demanda-t-il à Gonsalvo sans lui adresser le moindre sourire.
— Le droit, Votre Excellence, répondit Gonsalvo, resplendissant. Quand on est en quête de justice, on ne peut relâcher sa vigilance un seul instant. Ne l’avez-vous pas constaté vous-même ? demanda-t-il à l’un des marchands, en pleine conversation avec le vicaire général.
L’homme parut un peu étonné.
— Certes, messire, fit poliment celui-ci avant de reprendre sa conversation.
Il n’avait pas la moindre idée de ce à quoi il avait acquiescé.
— Une affaire vous mène devant les tribunaux ? lui demanda Berenguer.
Gonsalvo prit un temps avant de répondre.
— D’une certaine façon, oui. C’est une petite affaire, de peu de conséquence.
— Dans ce cas, je me demande pourquoi vous vous êtes donné tant de mal pour la suivre.
— Cela m’était pratique pour d’autres raisons, dit Gonsalvo en adressant un clin d’œil à Bernat. Chacun a de la famille, des amis et des relations, ajouta-t-il sur le ton de la confidence. Pour ma part, j’ai une fille qui atteint l’âge du mariage.
Il eut un signe de tête en direction du vicaire général.
— J’ai saisi l’occasion pour demander une audience au vicaire général afin de savoir si l’on a des nouvelles de mon affaire.
— Ah, fit Berenguer, c’est devant un tribunal épiscopal que se traite votre affaire ?
— Je fais preuve de négligence, Votre Excellence. Ce n’est pas mon affaire, mais celle d’un voisin dont les terres relèvent du diocèse de Barcelone. Une petite partie de mes propres terres, arrosées par un certain cours d’eau, pourrait être touchée par cette controverse.
— Le voisin est-il ici pour plaider sa cause ? s’enquit Bernat.
— Pas que je sache, répondit Gonsalvo. Mais l’affaire ne se juge pas à Barcelone. Elle a été portée devant la cour pontificale.
— Je crains, dit Francesc Ruffach, vicaire général de Barcelone, que nous n’ayons pas reçu de nouvelles d’Avignon concernant cette affaire. Pas encore, tout au moins.
Il parlait avec froideur, comme s’il en avait assez des revendications de Don Gonsalvo. Ou de Don Gonsalvo en personne.
— Ne vous en faites pas, mon père, dit de Marca. La rumeur prétend que les documents sont partis. Le sage se prépare toujours au jugement, surtout quand il pense qu’il peut lui être contraire.
Berenguer se leva.
— Mon cher Ruffach, aussi agréable soit ce repas, je dois vous prier de m’excuser. Je vais emmener le protégé de Sa Majesté faire quelques pas dans votre verger puisque nous avons des nouvelles à échanger. Si vous pouvez me consacrer une demi-heure seul à seul, il y a de nombreux problèmes qui nous concernent tous deux et sur lesquels j’aimerais connaître votre position.
Francesc Ruffach se leva et escorta l’évêque ainsi que Yusuf jusqu’à la porte de la salle.
— Mais que dirai-je à Sa Majesté si elle me demande de rester à la cour ? demanda Yusuf d’une voix tremblotante. Je ne pense pratiquement qu’à ça depuis notre départ de Gérone, Votre Excellence, et cela me cause beaucoup de tourment. Mon maître est aveugle. Je ne puis le laisser. Et il a beaucoup à m’enseigner.
— Tu comptes beaucoup pour ton maître, Yusuf, mais il n’est pas aussi impotent que tu le penses. Cependant, si tu devais décider de ne pas
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