Apocalypse
Étrange. T’aurais pas voulu nous doubler, par hasard ?
De son œil valide, embué de larmes, Landry entraperçut le visage de son interlocuteur. L’homme qui était dans la camionnette.
— Pas moi ! Pas moi ! Au café, j’ai été arrêté par la police avant même de récupérer le dessin. Un flic m’a interpellé, puis…
— C’est lui ?
Kyria lui tendit une photo. On y voyait un quadragénaire, cheveux courts, le visage tendu vers la portière défoncée d’une voiture. Le Canadien acquiesça.
— Oui, c’est lui qui m’a arrêté dans le café.
— Son nom ?
— Je ne sais pas ! Je jure que je ne sais pas !
— Calme-toi.
Tristan lui caressa les cheveux, presque avec tendresse.
— On s’est renseignés sur ton vendeur, Della Rocca, après son arrestation. C’est toi qui l’as donné ?
— Non. Il devait m’appeler sur mon portable. Ce flic, là sur la photo, il a dû intercepter, il a dû…
— Il a dû… oui… bien sûr ! Sauf que ton vendeur, Della Rocca, vient d’être libéré il y a une heure. De plus en plus étrange, tu ne trouves pas !
Les nerfs de Landry lâchèrent.
— Laissez-moi. J’ai… mal… si mal.
Kyria contempla le Canadien qui sanglotait et se tourna vers son compagnon.
— On fait quoi ? On va voir le vendeur ?
— Non. Della Rocca a dû passer un deal avec la police et le dessin est sûrement entre leurs mains désormais.
La blonde fixa la photo qu’elle tenait entre ses doigts.
— Putain de flic ! Je lui collerais bien une balle. Tu crois que c’est lui qui a le dessin ?
— Probable. De toute façon, la loi internationale exige désormais que les Français rendent l’œuvre à sa légitime propriétaire, et on sait où la trouver. C’est une piste qui peut se révéler très favorable. Je vais rendre compte. Quelque chose me dit que nous pourrions partir bientôt en Terre sainte.
— Et lui ?
Son compagnon jeta un œil vers le trafiquant.
— On va le remercier de nous avoir aidés dans cette mission.
— Je suis libre ?
— Vous ne le serez jamais autant, votre existence sur cette Terre a enfin pris tout son sens. Vous partez pour un voyage sans retour en Arcadie…
— Arcadie… c’est Acadie que vous voulez dire, chez moi, au Canada, murmura Hubert.
— Non. Arcadie. L’autre monde…
Landry frissonna. Tristan se tourna vers sa complice.
— Dans son métier d’expertise artistique, perdre un œil est un vrai handicap. Achève-le !
— Avec joie, mon amour, répliqua-t-elle en l’embrassant.
Le taxi filait sur l’autoroute A1. Antoine avait failli rater son départ à cause d’une ultime réunion de crise au ministère sur le triple meurtre. Le frère Obèse lui avait rendu un précieux service en faisant comprendre à Scalese de le laisser tranquille. Une surveillance de Della Rocca avait été mise en place par précaution, mais Marcas ne croyait pas à un autre enlèvement. Les meurtriers n’étaient intéressés que par le Poussin, il en était persuadé.
Il tenait précieusement dans sa main sa sacoche de cuir brun patiné par les ans. Il n’osait pas en extraire le dessin de Poussin, même s’il était tenaillé par la curiosité mais aussi par un sentiment plus morbide. L’esquisse était lourde de mystère et de sang. Et ceux qui l’avaient fait couler ne reculeraient devant rien pour mettre la main dessus. Les paisibles bergers d’Arcadie autour de leur tombeau ne promettaient pas le paradis. Ils gardaient la porte d’un enfer dont la clé devait se trouver à Jérusalem.
Une clé conservée par une très vieille dame.
DEUXIÈME PARTIE
Que ceux qui ont des oreilles entendent…
Apocalypse de saint Jean, II, 7
17
Londres
Hyde Park
Speaker’s Corner
21 juin 2009
Le grand barbu essuya la déjection verte qui venait de tomber sur son épaule et jeta un regard mauvais à l’oiseau noir perché sur la branche, responsable de cet outrage inqualifiable à sa personne. La foule retenait son souffle, attendant avec impatience que l’orateur reprenne sa diatribe. Il leva les bras et les tendit vers l’assistance. Sa barbe et ses cheveux argentés bouclés accentuaient sa ressemblance avec le Moïse des Dix Commandements . Ses grands yeux noirs fixaient l’auditoire captivé.
— Partout dans le monde, les entreprises licencient des centaines de milliers de travailleurs. Le chômage gangrène vos vies. Deux milliards d’hommes et de femmes
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