Apocalypse
effarés de son auditoire, Antoine sortit de sa sacoche une série de livres aux couvertures criardes où l’on devinait pêle-mêle un diable grimaçant, un Christ en croix et une tour crénelée.
— Bon Dieu, c’est quoi, ce délire, laissa échapper le représentant du ministère de la Culture, déjà chauffé à blanc par le vol du Poussin, vous vous foutez de nous ?
Pour la première fois de sa carrière, Marcas douta de son pouvoir de conviction.
— C’est-à-dire que…
— J’ai autre chose à faire que d’écouter ces conneries, répliqua son interlocuteur, et pourquoi ne pas ajouter le trésor des Templiers ou l’Arche d’Alliance ?
— Justement… dit Marcas avant qu’il ne réalise qu’il s’enfonçait à pieds joints dans les sables mouvants.
Une voix calme et ferme lui coupa la parole. Celle du frère Obèse qui était revenu dans le même avion que Marcas :
— Nous aurions tous grand tort de négliger cette piste, depuis des années, nous surveillons le site de Rennes-le-Château et la faune qui fréquente les lieux.
— Mais enfin, quelqu’un m’expliquera-t-il pourquoi, depuis le début de la réunion, le nom de cette commune ne cesse de revenir ?
— Monsieur le conseiller aux Affaires réservées, débuta le frère Obèse, les musulmans ont La Mecque, les Juifs Jérusalem, les catholiques Rome, eh bien, l’ésotérisme mondial n’a qu’un centre : Rennes-le-Château.
Si c’est moi qui avais dit cela , pensa Antoine, je serais déjà révoqué ! En tout cas, chapeau, le frangin, il a scotché tout le monde !
Autour de la table, les visages s’étaient figés et attendaient une explication. Le frère Obèse, satisfait de son effet, prit tout son temps.
— Je vais essayer de faire simple.
Antoine grimaça discrètement. Ça allait être difficile. Le mystère de Rennes-le-Château, déjà énigmatique, n’avait cessé de s’obscurcir.
— En 1885 un prêtre, Bérenger Saunière, prend possession de la paroisse de Rennes-le-Château. C’est un homme jeune, apprécié de son évêque, mais qui hérite d’une église en ruine et d’une population déchristianisée.
— C’était souvent le cas à cette époque en province, intervint le représentant du ministère de la Culture, le curé était royaliste et les paroissiens républicains.
— Tout à fait. Et notre curé ne manque pas de cœur à l’ouvrage : il entreprend la restauration de l’église et là, il fait une étrange découverte.
— Laquelle ? interrogea le conseiller aux Affaires préservées, le sourcil interrogateur.
— Selon une tradition orale : des manuscrits, mais rien ne le prouve formellement. En tout cas, dès ce moment, il fouille le sol de son église, défonce son cimetière, passe ses jours à prier et ses nuits à creuser.
— Et il trouve quelque chose ?
— Les avis divergent mais, après avoir mis sens dessus dessous sa paroisse, Bérenger Saunière se met à fouiller les environs avec une prédilection marquée pour les grottes, et il n’en manque pas dans le secteur.
— Bref, votre curé s’est transformé en chercheur de trésor, mais je ne vois pas ce que…
— Les gens du pays, eux, le voient très bien, répliqua le frère Obèse. En quelques années, le curé dépense une fortune considérable, il reconstruit l’église, achète des terrains, construit un véritable domaine, avec villa néogothique, tour médiévale, rempart, parc, jardin… Sans compter qu’il tient table ouverte et reçoit des membres du gouvernement de l’époque, jusqu’à des princes de l’Empire d’Autriche-Hongrie.
Avec une forte prédilection pour des francs-maçons , songea Marcas, ce qui est plutôt étrange pour un curé réputé royaliste.
— Mais d’où venait l’argent ?
Le frère Obèse se pencha vers ses interlocuteurs.
— Pendant longtemps on a pensé qu’il avait trouvé un trésor. Les légendes ne manquent pas dans le secteur. Wisigoths, Templiers, Cathares… on a le choix et c’est ce qui explique pourquoi autant d’amateurs d’occultisme se précipitent à Rennes-le-Château.
— À commencer par François Mitterrand, précisa Marcas, qui visita le domaine de Saunière alors qu’il était en pleine campagne présidentielle.
— Élections qu’il va gagner d’ailleurs, reprit le frère Obèse tout sourire, à croire que sa visite à Rennes lui a porté chance !
— Vous plaisantez, là ?
Le frère Obèse posa
Weitere Kostenlose Bücher