Au bord de la rivière T4 - Constant
dit Bernadette, vous aurez pas besoin d’elle…
Les yeux brillants d’envie de l’orpheline prouvaient assez qu’elle serait ravie d’effectuer cette balade en pleine nature.
— Je pourrais demander à Constant de venir avec nous autres, ajouta l’institutrice.
— Qu’est-ce que t’en penses, toi, de cette idée-là ? demanda la religieuse à sa belle-sœur.
— Pourquoi pas ? Tout est prêt pour les repas de la journée. Ils peuvent bien aller s’amuser un peu.
Après le dîner, les trois jeunes gens, bien emmitouflés, prirent la route à pied, en tenant leurs raquettes à la main. Ils s’arrêtèrent chez Constant Aubé qui s’empressa d’accepter l’invitation de les accompagner. Après avoir prévenu Emma de la présence de sœur Marie du Rosaire et de Célina au repas offert le lendemain soir, ils poursuivirent leur route jusqu’au pont qu’ils traversèrent.
Hubert, habituellement si timide avec les filles, se sentait particulièrement à l’aise avec la jeune compagne de sa tante. Tous les quatre chaussèrent leurs raquettes, assis sur le perron de l’école de Bernadette et celle-ci fut la première à descendre la petite pente qui conduisait à la rivière gelée avec l’aide de Constant. Hubert aida Célina à ajuster ses raquettes avec galanterie.
C’est agenouillé devant la jeune fille qu’Angélique l’aperçut depuis la galerie du magasin général où elle venait de secouer une catalogne. Ses traits se figèrent à cette vue et elle s’empressa de rentrer dans la maison sans le héler. Qui était cette fille ? Comment se faisait-il qu’il aille faire de la raquette avec elle alors que c’était elle qu’il fréquentait ? Tiraillée par une sourde jalousie, la fille de Télesphore Dionne s’enferma le reste de la journée dans le mutisme, se promettant de demander des explications à son amoureux après la grand-messe du lendemain.
Angélique aurait été encore plus jalouse si elle avait pu constater l’intérêt manifesté par la compagne de son amoureux pendant qu’il lui parlait de ses projets d’avenir et de son désir de fabriquer le meilleur fromage de la région. Constant et Bernadette, marchant une cinquantaine de pieds devant eux, ne se préoccupaient que de leurs fiançailles et de leur mariage à venir.
En ce matin du jour de l’An, le bon curé Fleurant se leva d’excellente humeur. Comme chaque jour, ce fut la faim qui le tira du sommeil. Il faut mentionner que le pasteur de Saint-Bernard-Abbé était largement guidé par son appétit, lui qui pesait plus de trois cents livres.
— Il peut se vanter qu’il m’en fait passer des heures à mon fourneau, répétait souvent sa cuisinière, mais c’est un homme qui a si bon caractère et il mange avec un si bel appétit que je serais bien mal venue de m’en plaindre.
Le premier geste du prêtre après être descendu de sa chambre fut de passer sa tête dans la cuisine, comme tous les matins. Lorsqu’il aperçut Bérengère Mousseau déjà au travail, il s’empressa de lui souhaiter une bonne année tout en regrettant que ce ne soit pas déjà l’heure du repas. Il rappela tout de même à la veuve qu’il ne voulait pas la revoir dans le presbytère après la grand-messe.
— J’espère que vous avez pas oublié que c’est un jour de fête, madame Mousseau, dit-il avec une bonne humeur communicative. C’est comme un dimanche, vous devez en profiter aujourd’hui.
— J’ai pas oublié, monsieur le curé, mais je pense que la journée aurait été pas mal plus reposante ici dedans que chez ma fille qui a dû inviter toute la famille.
— Plaignez-vous pas, madame, ça va sûrement être mieux que de pas avoir de famille.
— Pourquoi vous venez pas passer la journée chez ma fille ? l’invita Bérengère. Je suis certaine que ça lui ferait bien plaisir.
— Je vais rester ici, déclara le prêtre. Au cas où il se produirait quelque chose. Et là, je me dépêche de sortir de votre cuisine avant que ça sente trop bon. Je pourrais faire un péché de gourmandise avant de dire ma basse-messe, ce qui serait pas convenable. De toute façon, je suis pas en avance.
Ce disant, l’ecclésiastique se dirigea vers le portemanteau auquel était suspendu son lourd manteau de fourrure et l’endossa avant de sortir du presbytère pour se rendre à la chapelle voisine. Il traversa la sacristie où le bedeau avait allumé le poêle une heure auparavant et il alla pieusement
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