Au bord de la rivière T4 - Constant
veillé à ses côtés le dimanche précédent, et à aucun moment elle n’avait semblé regretter son absence au souper de Noël, ni n’avait expliqué la présence du vieux Paddy Connolly à ce repas des fêtes alors que cela aurait dû être sa place. Encore pire, le lendemain, elle allait passer la journée à Saint-Zéphirin chez des parents sans avoir jugé bon de le prévenir. Avait-elle honte de lui ? Ses parents l’avaient-ils persuadée qu’il n’avait aucun avenir et qu’il valait mieux qu’elle ne le présente pas à la famille ?
— Est-ce qu’on y va ? demanda sœur Marie du Rosaire d’une voix impatiente. On est gelées, nous autres.
Son neveu ne se donna pas la peine de lui répondre et monta dans la sleigh à laquelle il fit faire demi-tour sans jeter un regard derrière lui. S’il avait tourné la tête vers la fenêtre de la cuisine des Dionne, il aurait remarqué qu’on venait de laisser tomber un rideau qui avait été soulevé. Les lisses de la voiture crissaient sur la neige durcie de cette froide matinée de la fin du mois de décembre et le conducteur ne parcourut qu’une courte distance dans le rang Saint-Jean avant d’immobiliser son attelage sur la route, devant une petite maison blanche, et de se tourner vers sa tante.
— Regardez, ma tante, je viens d’acheter cette terre-là, dit-il.
— C’est nouveau, ça ! s’exclama-t-elle. Pourquoi t’as acheté une terre ? Penses-tu te marier bientôt ? lui demanda sœur Marie du Rosaire.
— Non, ma tante. Je veux ouvrir là ma fromagerie.
— Drôle d’idée ! se borna-t-elle à dire. Tu me raconteras ça tout à l’heure quand on sera au chaud, chez ta mère.
Le jeune homme remit son cheval en marche et ne s’arrêta qu’à la grande maison de pierre des Beauchemin, au milieu du rang. Il arrêta la sleigh près de la galerie, aida ses deux passagères à descendre et s’empara de leurs maigres bagages.
— Je vous amène de la visite, prit-il la précaution de crier en ouvrant la porte de cuisine d’été pour permettre aux trois femmes en train de cuisiner dans la cuisine d’hiver de se composer un air accueillant.
Bernadette fut la première à se présenter à la porte et réprima une grimace en reconnaissant la sœur de son père.
— Ah bien, si c’est pas de la belle visite ! s’écria-t-elle. Entrez, ma tante, et venez vite vous réchauffer.
En entendant sa fille, Marie s’empressa de chuchoter à sa bru debout à ses côtés en train de préparer un gâteau :
— On dirait bien que le bon Dieu a décidé de nous faire gagner notre ciel pour finir l’année.
Elle s’essuya les mains sur son tablier et fit quelques pas en direction de la cuisine d’été. Elle s’arrêta brusquement en apercevant une toute jeune fille que poussait sa belle-sœur devant elle.
— Bedette, aide-les à enlever leur manteau, ordonna- t-elle à sa fille cadette.
Puis, se rendant compte soudainement de l’absence de la religieuse discrète qui accompagnait toujours sa belle-sœur à chacune de ses visites, elle demanda à la grande et forte femme, qui venait de déposer un baiser sonore sur chacune de ses joues, ce qu’elle avait fait de sœur Sainte-Anne.
— La pauvre ! Elle s’est brisé une jambe dans un escalier la semaine passée, répondit Mathilde Beauchemin. Elle était bien désolée de pas pouvoir venir fêter le jour de l’An avec nous autres. Par contre, j’ai emmené avec moi une de nos pupilles de l’orphelinat. Elle s’appelle Célina Chapdelaine. Elle nous aide à la cuisine depuis cinq ou six ans. C’est une vraie perle.
La jeune fille, qui se tenait en retrait, adressa un sourire timide aux quatre femmes et à Hubert, qui venait d’entrer. Elle semblait être âgée de près de vingt ans et ses cheveux bruns coiffés en bandeaux entouraient un petit visage délicat éclairé par des yeux noisette. Sa stricte robe grise agrémentée d’un collet blanc lui donnait un air sage.
Marie Beauchemin avait du mal à cacher sa contrariété d’avoir à supporter durant quelques jours le verbiage incessant de sa belle-sœur.
— Armand t’a pas prévenue que je viendrais passer le jour de l’An avec vous autres ? demanda la sœur Grise. Je lui avais pourtant demandé de te le faire savoir.
— Il faut croire qu’il avait autre chose en tête, rétorqua Marie.
— Non, m’man, il me l’a dit la semaine passée quand je suis allé chez le notaire, mais ça m’est
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