Au bord de la rivière T4 - Constant
beignets. La maison embaumait de toutes sortes d’odeurs appétissantes.
— Rémi, grouille-toi d’allumer le poêle dans la cuisine d’été. J’ai besoin du fourneau pour faire cuire mon jambon.
— Ce sera plus ben long, la rassura-t-il.
— Quand t’auras fini ton ménage, on va être déjà prêts à dîner.
— Ça tombe ben, j’ai des affaires à aller acheter chez Dionne après le repas, annonça-t-il.
Au moment où Rémi disait ces mots, son jeune beau-frère, Hubert, poussait la porte du magasin général autant pour voir Angélique que pour acheter quelques livres de clous nécessaires à la réparation d’un port qu’une vache avait abîmé dans l’étable l’avant-veille.
— Puis, comment on se sent propriétaire d’une terre ? lui demanda Hormidas Meilleur, confortablement installé sur l’un des deux grands bancs placés de part et d’autre de la grosse fournaise servant à chauffer le magasin.
Les trois hommes avec qui il discutait dévisagèrent le fils de Baptiste Beauchemin. Pour sa part, Télesphore Dionne leva la tête dans sa direction, même s’il était en train de servir un client.
— Je peux pas encore vous le dire, monsieur Meilleur, répondit le jeune homme, un peu intimidé d’être l’objet de l’attention générale, je suis pas encore entré dans ma nouvelle maison. Encore une semaine.
Dès que le client eut été servi, Hubert s’approcha du long comptoir pour commander cinq livres de clous et demanda s’il pouvait parler à Angélique.
— Tu peux toujours essayer, lui répondit le marchand, mais elle est en train de cuisiner avec sa mère. Demain midi, on monte à Saint-Zéphirin passer la journée chez mon cousin Lemaire.
— Si c’est comme ça, je la dérangerai pas, fit Hubert, abasourdi et surtout peiné de constater que son amoureuse n’avait pas jugé bon de le prévenir qu’elle ne passerait pas le jour de l’An en sa compagnie. Je la verrai plus tard, ajouta-t-il en prenant possession de son sac de clous.
Il allait partir quand Thomas Hyland poussa la porte du magasin, l’air totalement frigorifié.
— Tiens ! s’exclama-t-il en retirant ses moufles. Je ramène de la gare du monde qui s’en va chez vous, dit-il à Hubert.
— J’espère que vous ramenez pas deux sœurs ? demanda le fils cadet des Beauchemin en s’approchant de la fenêtre la moins givrée pour voir qui le maire de Saint-Bernard-Abbé transportait.
— Ben non, t’es chanceux, plaisanta Thomas. Il y en a juste une qui parle pour dix et elle est avec une belle fille à part ça. Elle, je peux pas te dire si elle parle parce que la sœur a tenu le crachoir tout le temps depuis qu’elle est montée dans ma sleigh .
Dionne se tordit le cou durant un court moment pour tenter d’apercevoir les deux voyageuses demeurées dans le véhicule. Hormidas s’était aussi précipité pour identifier les passagères.
— Sacrifice ! T’es chanceux, mon jeune, je reconnais la sœur, je l’ai déjà conduite chez vous l’année passée, dit le facteur d’une voix moqueuse. C’est ta tante qui vient vous voir pour le jour de l’An. À mon avis, t’as pas fini de l’entendre jaser.
— Est-ce que je vais les conduire chez vous ou ben tu les embarques dans ta sleigh ? demanda le maire à Hubert. Je t’avoue que je serais pas fâché de me reposer un peu les oreilles.
— Merci, monsieur Hyland. Je vais les emmener. Je vous dois combien ?
— Laisse faire, ça va avoir été ma dernière bonne action de 1872, répondit Thomas avec le sourire.
Hubert remercia, salua les gens présents et quitta le magasin. Arrivé près de la sleigh de Hyland, il invita sans trop de chaleur les deux passagères à prendre place dans son véhicule. Sa tante Mathilde fut la première à descendre. Engoncée dans son lourd manteau noir, elle éprouva quelque mal à s’extraire de la voiture.
— Allez, ma fille, descends, ordonna-t-elle sèchement à sa compagne dont le visage disparaissait derrière un épais foulard de laine. C’est mon neveu Hubert. On s’en va chez sa mère.
Sans se préoccuper le moins du monde des deux femmes, Hubert empoigna leurs valises déposées à l’arrière de la sleigh du propriétaire de la scierie et les casa tant bien que mal dans sa voiture avec des gestes brusques. Il était si démoralisé par l’indifférence soudaine manifestée à son endroit par Angélique qu’il ne savait plus trop comment réagir. Il avait
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