Au bord de la rivière T4 - Constant
été mal repassée, déclara Paddy sur un ton brusque en laissant tomber le vêtement sur la table de la cuisine devant une Camille en train de repriser du linge.
Elle allait répliquer quand son mari la devança, à sa plus grande surprise.
— Mon oncle, exagérez pas, calvaire ! Vous voyez pas que ma femme a déjà pas assez de ses deux mains pour faire tout ce qu’il y a à faire ici dedans.
— Oui, mais…
— Si le repassage fait pas votre affaire, vous êtes libre de demander à une autre femme de la paroisse de vous le faire, le coupa sèchement Liam.
Paddy reprit sa chemise et monta à sa chambre sans rien dire. En signe de reconnaissance, Camille quitta sa chaise, s’approcha de son mari et déposa un baiser sur son front. Ce simple geste émut Liam, mais il ne trouva rien à dire.
Quand il se retira quelques minutes plus tard sur la galerie pour se bercer à l’ombre, il ne put que s’interroger sur ce qui avait pourri ses relations avec sa femme depuis leur mariage. Bien sûr, il avait compris depuis longtemps que le début de leur mésentente venait de la façon dont il l’avait traitée le soir de leurs noces. Il avait été trop impatient de profiter d’elle pour la ménager et, depuis, il en payait le prix parce qu’elle refusait régulièrement de le satisfaire. Lorsqu’elle consentait à remplir son devoir d’épouse, elle était d’une passivité qui le mettait hors de lui. Il lui fallut un certain temps pour reconnaître qu’elle n’avait pas tous les torts et qu’il lui faudrait peut-être se montrer un peu plus tendre tant qu’elle éprouvait encore un peu d’amour à son endroit… si tel était le cas. En fait, rien ne prouvait que sa conduite n’était pas dictée plus par la charité chrétienne et la pitié que par l’amour.
Le lendemain, débarrassé de son écharpe, le cultivateur retrouva un semblant d’autonomie avec une joie mal dissimulée. Bien sûr, il avait encore le bras droit dans le plâtre, mais il pouvait se débrouiller.
— Tu devrais peut-être me laisser continuer à te raser le matin, lui suggéra Camille en l’aidant à endosser sa chemise. T’es pas gaucher et tu risques de te couper.
— C’est correct, accepta-t-il, mais à partir d’à matin, je peux au moins nourrir les poules et les cochons.
— Si tu veux, concéda sa femme, mais sens-toi pas obligé. Les enfants sont bien capables de continuer à le faire.
Le dimanche suivant, date de l’ouverture de la campagne électorale fédérale, le maître-chantre revint tenir son rôle dans la chorale paroissiale, pour la plus grande satisfaction du curé Désilets. À la fin de la grand-messe, les Beauchemin tinrent à le rassurer. Ils promirent de venir l’aider à faire ses foins la semaine suivante, ce qu’il accepta avec empressement et reconnaissance. Puis, la conversation dériva évidemment sur la lutte politique qui s’engageait ce jour-là.
— Dorion va venir parler à Sainte-Monique samedi soir, le 2 août, annonça Donat. Si je me fie à ce que m’a dit Anthime Lemire, il va y avoir pas mal de monde pour venir nous parler de tout ce que Sénécal a fait de travers dans le comté depuis qu’il a été élu.
— J’ai entendu dire au magasin général qu’Ellis était assez pesant pour avoir décidé celui qui va se présenter à la place de Sénécal à venir parler dans la paroisse le mercredi après, intervint Rémy.
— Tant pis pour lui, fit Donat d’un air suffisant. Il va vite se rendre compte qu’il y a pas ben des Rouges à Saint-Bernard.
— En tout cas, tout va aller pas mal vite, conclut Xavier. Dans le comté, le vote doit avoir lieu le 14 août. Ça donne pas grand temps aux candidats de se faire connaître.
— C’est pas grave, répliqua son frère aîné. Tout le monde sait ben que le candidat honnête, c’est le Bleu, pas le Rouge.
— Essaye pareil de te rappeler que les Rouges ont pas dû choisir n’importe qui pour remplacer Sénécal. Ils ont tout de même réussi à faire élire le député de Drummond-Arthabasca depuis le commencement de la Confédération, laissa tomber Rémi. Il y a rien qui dit que Therrien sera pas élu.
— D’après Lemire, c’est impossible.
Chapitre 3
Le temps presse
Deux jours plus tard, Donat Beauchemin s’apprêtait à quitter la maison pour retourner aux champs avec Ernest, son employé, quand il vit arriver le notaire Valiquette, le président de la fabrique.
— Bon,
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