Au bord de la rivière T4 - Constant
laissa-t-elle tomber en poursuivant l’aiguisage.
— C’est pas pantoute la besogne d’une femme. T’as jamais fait ça.
— Je le sais, mais on va avoir besoin de foin. En plus, je me dis que si la veuve Cloutier a été capable de faire ses foins presque toute seule pendant des années, je vois pas pourquoi moi, je serais pas capable d’en faire autant.
— Elle avait de l’aide, lui rappela son mari.
— Nous autres, on a les enfants qui peuvent donner un coup de main.
— Rémi et tes frères…
— Ils vont tenir parole, inquiète-toi pas, dit-elle sur un ton convaincu. Mais j’ai pas l’intention de rester les bras croisés à attendre l’aide des autres. On peut en faire un bout.
— Moi, qu’est-ce que je peux faire arrangé comme je suis là ?
— Quand va venir le temps de ramasser le foin, je pense que tu vas pouvoir conduire la charrette, si tu veux.
— Calvaire, je vais avoir l’air d’un beau membre inutile, dit-il, la mine sombre.
— Tu peux venir me regarder faire un bout de temps pour me donner des conseils si je fais ça de travers, suggéra-t-elle.
Quand la jeune femme fut prête, elle entraîna avec elle Ann, Patrick et Duncan, armés tous les trois d’une fourche, dans le grand champ situé entre la route et la rivière qui coulait en contrebas.
— Je peux faucher, moi aussi, déclara Patrick du haut de ses douze ans.
— C’est parfait, fit Camille. Quand je serai fatiguée, je vais te passer la faux. Là, vous allez me laisser prendre un peu d’avance avant de commencer à faire des petites meules. Faites-les pas trop grosses, sinon on sera pas capables de les lancer sur la charge.
Assis sur la galerie, Paddy et Liam les regardèrent travailler durant quelques minutes sans échanger une seule parole.
— Je me fais l’impression d’être un maudit beau sans-cœur, finit par déclarer Liam à son oncle.
— Arrangé comme t’es là, tu peux pas aider.
— J’aurais au moins pu essayer d’engager quelqu’un de la paroisse.
— Ça m’aurait surpris que tu trouves quelqu’un, répliqua Paddy. Dans le temps des foins, tout le monde travaille.
Liam ne demeura pas plus qu’une demi-heure à se bercer. Il se leva, alla remplir tant bien que mal une cruche d’eau fraîche qu’il transporta dans le champ où les siens s’échinaient sous un soleil de plomb.
— Arrêtez-vous un peu pour souffler, leur ordonna-t-il. Et toi, Camille, cherche pas à faucher trop large. Tu te fatigues pour rien.
Il passa le reste de l’avant-midi dans le champ en cherchant à se rendre utile. Quand tous revinrent à la maison, ils furent surpris de voir Paddy descendre de son boghei.
— Patrick, va donc dételer mon cheval, demanda-t-il à son petit-neveu épuisé par une matinée de travail sous le soleil.
— Mon gars est pas mal fatigué, mon oncle, intervint Liam. Je pense que vous êtes mieux de vous en occuper tout seul.
Cette intervention lui mérita un regard reconnaissant de sa femme.
Ce midi-là, Camille et ses deux filles étaient occupées à ranger la cuisine après le repas quand elles virent la voiture du meunier venir s’arrêter près de la maison. Le jeune homme se dirigea en claudiquant vers la galerie et vint frapper à la porte.
— Seigneur, Constant, ça fait une éternité qu’on t’a pas vu ! s’exclama la maîtresse de maison en lui ouvrant la porte.
— Pas tant que ça, madame Connolly, mais disons un bon mois, répondit l’ex-amoureux de Bernadette Beauchemin, en rougissant un peu.
— Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire pour toi ? Je viens d’envoyer mon mari faire une petite sieste. Je peux le réveiller, si tu veux.
— Ben, j’ai appris au magasin général que votre mari s’était cassé un bras et je me suis dit que je pourrais peut-être vous être utile en venant vous donner un coup de main à faire les foins.
— Et tes foins à toi ? s’enquit Camille.
— Moi, j’ai pas besoin d’en faire. J’ai juste deux vaches et j’ai un client qui me paie avec du fourrage.
— Je trouve ça pas mal gênant.
— Il y a pas de gêne à avoir, madame Connolly. Si on s’entraide pas entre voisins, qui va le faire ?
Le rythme du travail changea passablement durant l’après-midi. Quand Liam sortit après une longue sieste, il découvrit avec étonnement que la moitié de son champ était déjà fauché. Il aperçut de dos un homme en train de faucher sans parvenir à le
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