Au bord de la rivière T4 - Constant
temps de la trouver, Samuel Ellis avait déjà tourné les talons et quitté la grange.
Samuel s’arrêta au magasin général, comme prévu. Comme d’habitude, quelques clients, la pipe au bec, discutaient sur la large galerie, à l’abri de la pluie qui continuait à tomber. L’organisateur libéral ne put faire autrement que de s’arrêter près des quatre hommes désœuvrés pour les saluer.
— Dites donc, vous autres, vous trouvez pas que ça sent le fumier tout à coup ? demanda Anatole Blanchette en fronçant le nez.
Le visage de Samuel devint soudainement blafard et c’est l’air mauvais qu’il demanda au gros cultivateur du rang Saint-Paul :
— Demandes-tu ça parce que tu penses que je sens le fumier ?
— Pantoute, Samuel. C’est juste une odeur que j’ai sentie tout à coup. Ça doit venir de chez Évariste ou le père Meilleur, à côté.
Ellis entra dans le magasin, fit remplir son cruchon de mélasse et salua sèchement les hommes demeurés sur la galerie avant de remonter dans son boghei. Il sentit leur regard goguenard dans son dos jusqu’à ce qu’il fût arrivé au pied de la côte du rang Sainte-Ursule.
— On dirait ben que l’enfant de chienne qui m’a fait ce coup-là s’en est vanté. Ça me surprendrait pas que toute la paroisse soit déjà au courant. Je vais bien finir par savoir qui m’a fait ça. Il va regretter d’être venu au monde.
Malheureusement, le temps ne s’améliora guère durant la journée et c’est sous une petite pluie fine que les partisans du parti libéral de la région commencèrent à arriver au début de la soirée à la ferme du rang Sainte-Ursule. Wilbrod Desnoyers, le bras droit et organisateur en chef d’Auguste Tessier, arriva parmi les premiers sur les lieux en compagnie de deux fiers-à-bras.
— Torrieu ! On peut pas dire qu’on est ben chanceux avec le temps, déclara l’homme après avoir serré la main de Samuel Ellis. Là, je t’ai emmené deux bons hommes capables de remettre de l’ordre si ça brasse un peu à soir, ajouta-t-il en lui montrant de la main ses deux compagnons.
— C’est parfait, fit l’Irlandais, satisfait. En plus, deux de mes garçons vont venir donner un coup de main, fit-il remarquer.
— Où est-ce que Tessier va pouvoir parler ? demanda l’organisateur en regardant autour de lui.
— J’ai pensé qu’il pourrait s’installer sur la galerie. Le monde va ben le voir et ben l’entendre et il y a assez de place dans ma cour pour tout le monde.
— J’espère que cette pluie-là en empêchera pas trop de venir, poursuivit Desnoyers. J’ai un baril de bagosse dans ma voiture. Tu pourrais peut-être l’installer dans l’entrée de ta grange et demander à tes garçons de s’en occuper.
— Je vais y voir, promit Samuel. Dis donc à un de tes gars de voir à ce que les voitures soient laissées dans le champ, à côté. Je l’ai fauché exprès la semaine passée.
Une heure plus tard, la cour de la ferme de Samuel Ellis était aux trois quarts remplie par une foule bruyante. La plupart des hommes se protégeaient de la pluie sous un large parapluie noir et semblaient indifférents à la boue dans laquelle ils pataugeaient. Finalement, Auguste Tessier fit son entrée, entouré par une demi-douzaine d’hommes chargés de lui ouvrir un chemin jusqu’à la galerie. Des applaudissements et des cris de victoire l’accompagnèrent jusqu’à ce qu’il eût pris place sur la galerie.
L’homme à la barbe poivre et sel avait une belle prestance et il portait crânement un chapeau haut-de-forme et une redingote noire.
Desnoyers prit un porte-voix. Debout aux côtés de Tessier, il présenta longuement le candidat libéral et fit une longue énumération de ses qualités et de ses réalisations passées. Au moment où il lui cédait enfin la parole, la pluie cessa, pour le plus grand contentement de la foule.
Auguste Tessier insista d’abord sur le moment historique que les gens allaient bientôt vivre en allant voter pour le second gouvernement du Canada depuis la Confédération. De plus, pour la première fois, les candidats n’avaient plus le droit de briguer un poste de député au fédéral et au provincial. Il fit ensuite l’éloge de tout le travail réalisé par son prédécesseur, Louis-Adélard Sénécal, et il parla de son intention de défendre les intérêts du comté de Drummond-Arthabasca.
— On a besoin de routes mieux entretenues et surtout d’un
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