Au bord de la rivière T4 - Constant
chemin de fer capable de desservir encore mieux notre population et nos manufactures, déclara-t-il avec fougue. Jusqu’à présent, Macdonald et son gouvernement donnent tout dans l’Ouest du pays pour agrandir le Canada, mais ils oublient que le plus grand nombre de Canadiens vit ici, au Québec, et qu’on les a pas élus uniquement pour qu’ils se remplissent les poches et celles de leurs amis.
Une salve d’applaudissements salua cette sortie. Durant plus d’une heure, Auguste Tessier parla de ce qu’il appelait les terribles erreurs de parcours des conservateurs et il mit l’accent sur le programme libéral qui visait surtout le mieux-être de la population canadienne.
Quand le politicien descendit de la galerie après avoir incité tous les hommes présents à aller voter pour lui le 14 août suivant, on lui fit une ovation monstre et on le raccompagna à sa voiture en chantant à tue-tête : « Il a gagné ses épaulettes, Maluron, Malurette… »
Lors du départ du candidat libéral, le soleil était couché depuis un long moment. Si la cour était plongée dans une obscurité relative, par contre, on avait suspendu une douzaine de fanaux sur la galerie pour bien éclairer l’orateur durant son long discours.
La cour se vida progressivement. Wilbrod Desnoyers s’approcha de Samuel Ellis en arborant un air de profonde satisfaction.
— Il y a pas à redire, t’as fait de la belle besogne, lui dit-il. Il y a eu plein de monde et pas un Bleu a osé venir faire du grabuge.
— J’ai fait ce qu’il fallait, se vanta l’Irlandais, heureux que tout soit terminé.
— À cette heure, le plus gros est fait. Il te restera juste à rappeler à ton monde de venir voter à Saint-Zéphirin le 14.
— Dis-moi pas qu’il y aura pas encore de bureau de vote chez nous ?
— J’ai ben essayé, mais il paraît que c’était pas encore possible, s’excusa l’organisateur.
Après le départ du dernier visiteur, Samuel alla vérifier s’il restait de la bagosse, mais ses fils lui apprirent avoir servi l’alcool jusqu’à la dernière goutte. Ces derniers rentrèrent chez eux et le maître des lieux s’empressa de faire une tournée de ses bâtiments avant d’entrer dans sa maison.
— Une bonne affaire de faite, déclara-t-il à sa femme déjà en train de se préparer pour la nuit.
— Bien du barda pour pas grand-chose, laissa-t-elle tomber. Quand cet homme-là va être élu, il se souviendra même plus de toi, ajouta-t-elle.
— T’es comme toutes les femmes, tu connais rien à la politique, fit-il en entreprenant de remonter le mécanisme de l’horloge.
Une fois étendu aux côtés de sa femme quelques minutes plus tard, Samuel réalisa soudainement qu’il n’avait pas vu un seul conservateur à la réunion, même pas Donat Beauchemin. Ensuite, il ne put réprimer un sourire de contentement en se souvenant brusquement d’avoir aperçu Paddy Connolly.
— Il dit qu’il est pas Irlandais, le vieux maudit, mais ça l’empêche pas d’être Rouge, et ça, c’est important, murmura-t-il dans le noir.
— Qu’est-ce que tu dis ? lui demanda Bridget en se tournant vers lui.
— Rien, c’est pas important.
Au même moment, le retraité Connolly pénétrait dans la maison de son neveu, la mine satisfaite du chat qui vient de croquer une souris. Il sursauta légèrement en apercevant Liam et Camille en train de se bercer dans la cuisine, à la lueur de la lampe à huile.
— Taboire, mon oncle, venez pas me dire que vous vous êtes fait une blonde et que vous arrivez de veiller, plaisanta Liam.
— Pantoute, j’arrive de la réunion chez Ellis.
— Êtes-vous en train de nous dire que vous allez virer Rouge ? lui demanda Camille, intriguée.
— En plein ça, ma nièce. Ce Tessier-là a ben du bon sens.
— C’est ben de valeur pour vous, mon oncle, reprit Liam d’une voix un peu plus dure, mais je vais annuler votre vote. Moi, je vote Bleu et je suis pas un vire-capot.
— C’est ton droit, mon neveu, déclara Paddy en enlevant ses bottines.
Il salua ses hôtes, alluma une lampe de service et monta à l’étage. Camille se garda bien de faire une remarque sur leur pensionnaire, car elle savait que son mari n’avait pas du tout prisé d’apprendre qu’il abritait un Rouge sous son toit.
Le jeudi 14 août, beaucoup de fermiers de la région avaient commencé à faucher leur blé et ils perçurent la tenue du scrutin comme un dérangement dont ils
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